En espace de trois mois, qu’il soit décrit comme un monstre ou une docile servante, ChatGPT a conquis les esprits en un temps record en dépassant la barre des cent millions d’utilisateurs. Je trouve presque dépassé le moment de poser le débat autour de cet outil en termes de rejet ou d’acceptation car il a accueilli en cinq jours seulement un million d’utilisateurs. Il a fallu deux mois et demi à Instagram d’afficher ce chiffre et trois ans et demi à Netflix pour l’atteindre. On a adopté la bête avant de se poser des questions sur ses potentiels dégâts.
ChatGPT est un modèle de langage naturel développé par OpenAI, qui utilise l'apprentissage automatique pour générer du texte en réponse à une variété de requêtes en langage naturel.
L’intelligence artificielle est d’abord à célébrer comme une victoire de l’intelligence humaine qui repousse encore les limites de la créativité. Nous sommes à l’ère des IA génératives et ChatGPT n’est qu’une aiguille dans le foin.
Toutefois, elle arrive avec son lot de craintes et un débat légitime sur son impact dans nos vies, dans l’éducation et le travail en particulier. C’est parce que, il faut le reconnaitre, l’humanité n’a jamais connu avec une telle vitesse autant d’innovations aussi impressionnantes les unes que les autres. Quand, un profane qui n’a jamais fait un seul cours d’informatique peut créer un site en dix minutes, cela relève, passez-moi le mot, du miracle. L’écran est devenu la figure ontophanique du thaumaturge.
La crainte d’être remplacé par un robot
De la création de sites Internet à la formation d’images ou de vidéos en passant par l’écriture, l’IA propose des outils qui affectent tous les secteurs presque et pose une question de l’ordre de l’existentiel : combien de métiers vont disparaître ?
On sait déjà que 40% de toutes les heures de travail peuvent être influencées par les grands modèles de langage (LLM) tels que le GPT-4. Sachant que l’intelligence artificielle progresse vite et que ces modèles utilisent un processus appelé pré-entraînement pour apprendre à "comprendre" et à générer du contenu à partir de ces données, plus ils sont entraînés, plus ils sont performants. Donc leur puissance pourrait se développer à des vitesses insoutenables presque.
S’il y a une chose qui pourrait rassurer, c’est de savoir que derrière cette magie, il y a encore des êtres humains et donc « Ce ne sont pas les IA génératives qui vont remplacer les personnes sur certains métiers, mais plutôt les personnes qui savent bien utiliser les IA génératives... ». Cette formule d’Alain Goudey, Chercheur et professeur en technologies disruptives, permet de nuancer suffisamment les prédictions.
Cela veut dire que nous sommes invités à nous adapter. Encore que, l’adaptation pourrait offrir qu’un fragile raccourci. En effet, quand les métiers sont menacés, on recommande souvent l’agilité professionnelle, on invite les personnes à apprendre à apprendre. Mais l’être humain ne peut pas aussi aller à la même vitesse qu’un robot qui ne se repose pas, qui ne dort, qui n’a pas une famille à gérer.
L’être humain tient tellement à son confort qu’on ne déroule pas le tapis rouge aux bouleversements qui touchent ou reconfigurent les habitudes et changent les repères. La transformation digitale a toujours été l’un des plus grands défis de l’éducation. On se rappelle que l'invention de l'imprimerie au 15e siècle a rendu le savoir accessible plus que jamais mais curieusement, le philosophe grec Socrate n'était pas un fervent partisan des documents écrits et ne pensait pas que l'écriture était un moyen efficace de communiquer le savoir. Donc les peurs sont normales car l’horizon est inconnu.
Je trouve quand même que ce serait dangereux qu’il y ait une génération d’être humains qui ne réfléchit plus. La bonne nouvelle c’est que l’IA nous pousse à réinventer les manières d’apprendre et de travailler. Et je pense qu’elle ne fera pas à notre place.
Au lieu de poser la réflexion en termes de rejet, de peur, d’acceptation, il est nécessaire d’avoir une approche positive et critique qui permette de toujours s’interroger sur la place de l’homme de manière éthique et de répondre à la question de savoir comment vivre une IA responsable.
L’IA va indubitablement repousser les frontières du possible, augmenter les capacités de productivité et proposer de nouveaux sillons à explorer. Notre rôle sera de faire de sorte que le langage de la réinvention ne soit jamais hors des contrôles de l’humain et de l’éthique.
Trouver du confort dans la disruption
L’une des grandes leçons de la covid-19 est de comprendre que nous ne contrôlons rien en fin de compte et donc nous devons apprendre à être à l’aise avec le basculement, à le penser non comme un obstacle, un frein, mais comme une opportunité pour garder le mouvement. Pédaler pour garder l'équilibre...
Nous allons continuer à avoir des surprises, à être parachutés dans des mondes-ères auxquels nous n’avons pas été préparés.
Peut-être serait-il intéressant d’entrevoir le fait qu’il faut éduquer les personnes non à réciter et à faire des tâches répétitives mais à se réinventer constamment tout en étant fidèles à certaines valeurs de dignité humaine. Le mouvement ici est à penser comme quelque chose de complexe car il faut le réaliser tout en préservant des valeurs fragiles. C’est comme se déplacer sur une terre qui tremble avec des vases en verre.
Un outil comme ChatGPT en exécutant certaines tâches plus vite que nous enseigne quelque chose aussi. Il nous invite à exprimer un besoin de manière précise et claire car si ce qu’on lui demande n’est pas clair, le résultat n’est pas satisfaisant. Il nous pousse à forger notre esprit critique car on ne devrait pas copier et coller les réponses sans réfléchir.
Il faut apprendre à profiter des aubaines de l’innovation et ne pas faire de concession sur tout ce qui touche la dignité humaine.
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