Nous vivons, sans nous plaindre, l'époque qui donne forme à un « efficace » (Cynthia Feury) qui, sous les draps de la vitesse et de la performance, n’est rien d’autre que la machine d'une sociologie de la sous-traitance de la vie.
Dans des régimes où on peut faire commerce avec l'image, où l'homme est plus que jamais riche car il a accès facilement à tout, nous voilà, "rois accablés" (Bruno Patino) vivant la pire des maladies : celle de nous désinvestir de la vie. Un mirage de liberté nous a piégés et emprisonnés dans une souffrance éthique.
Non seulement nous ne faisons plus communauté sans le fil du numérique mais le spectre que les médias nous proposent à longueur de journée crée un problème de santé publique à la dignité humaine. L'actualité a été particulièrement violente cette année, d'Ukraine au Congo, du Sahel central à Gaza, du Liban au Yemen, mais l'écran se charge de montrer les lieux de l'urgence et fait oublier d'autres espaces où le sang coule encore. Une géopolitique du déplacement de la plaque de l'attention. Comme un jeu de dé. Pire, les médias contribuent même à cette stratification des vies humaines. Comme si la douleur et le sang avaient un poids symbolique, un prix, selon les peuples touchés et les lieux où l'on se situe. Les hommes ont joué trop d'épisodes de déshumanisation durant l'année. Avant les champs de bataille et d'invectives, ils ont souvent commencé sur la manière de présenter l'autre.
La démocratie : des images de désenchantement et d’usure
Je ne dirai pas que la technologie ne nous aide pas. Mais nous ne l’utilisons pas suffisamment pour avoir des modèles de gouvernance plus transparents et plus performants. Au contraire, laissée entre les mains du Capitalisme et de l’Etat de droit, l’un veut augmenter sa puissance, l’autre veut tout contrôler, le citoyen est invité à devenir un pion qui nourrit à coup de clics un système de manipulation et de propagande.
Même les supposés progrès de la liberté d’expression à l’ère du numérique sont à prendre sans trop d’euphorie. Le fait que tout le monde ait accès à la parole ne signifie pas que nous sommes mieux écoutés et le citoyen / l’e-citoyen est dans le cercle vicieux des espaces de non-débat où tout le monde s’exprime et personne n’écoute.
La démocratie se porte mal. Dans plusieurs pays, les changements inconstitutionnels et les irrégularités n’ont fait qu’aggraver la crise de la représentativité. En Afrique, le Nigeria, très suivi pour sa position de leader en Afrique de l’Ouest, la Sierra-Léone, le Gabon, le Zimbabwe, le Madagascar ont tous connu des élections cette année et quelles que soient les issues, elles auront toutes le bémol d’avoir été très controversées. Seul le Liberia a pu donner une lueur d’espoir. Il faudra saluer le leadership de George Weah qui permet ainsi à son pays de continuer à consolider sa démocratie après des années de guerre civile.
Les ensembles politico-économiques régionales ne devraient plus se limiter à observer et condamner les dérives qui portent atteinte à la transparence des élections mais outiller les organisations de la société civiles à mieux prendre en main le destin démocratique de leur pays et instaurer des mécanismes de sanctions contre les États. Pendant ce temps; les putschistes adulés à leur arrivée, font des transitions-mandats. Les dialogues et les réconciliations nationales ont donné le temps de se familiariser avec les conforts du palais. A quand la démocratie?
Le Sénégal a bien froissé son statut d’exemple démocratique entre temps. Le pays n’a jamais enregistré autant de bavures policières, de prisonniers politiques et de manipulations des textes depuis 2021.
Avec une démocratie très électorale, la course au Palais a commencé juste après les élections de 2019. Voilà un danger de l’électoralo-centrisme. Une démocratie qui se construit qu’autour de la compétition autour de la conquête et la conservation du pouvoir au mépris de la protection des droits des citoyens et de leur liberté politique, l’indépendance des lois, et la création de véritables opportunités qui permettent aux citoyens et surtout à la jeunesse de créer des richesses.
Dans le cafouillage que nous traversons depuis mars 2021, les hommes politiques se sont plus concentrés sur les moyens d’exploiter des failles pour se positionner, d’être dans une politique du « buzz » sans véritable proposition d’un projet d’Etat et de société claire. Il y a trop de bruit. Plus qu’il n’en faudrait.
On pourra convenir que les formes d’intolérance idéologiques ont beaucoup émergé ces dix dernières années en faisant des bonds très significatifs et avec des adhérents de plus en plus nombreux. Si la rhétorique de l’extrême droite a été une prophétie qui a mené au pouvoir certains leaders (Bolsonaro au Brésil, Orbán en Hongrie, Modi en Inde, Duterte aux Philippines etc.), c’est parce que le citoyen ne sent plus ses préoccupations bien prises en charge par les gouvernants.
Le centre doit être humain.
Pour revenir sur les termes avec lesquels j’ai introduit, les années à venir promettent monts et merveilles surtout avec les avancées de la technique et leur impact sur nos manières de vivre, d’étudier, de travailler, de créer du lien ; mais dans le projet il y a un aspect qui doit faire peur : la mise de l’humain sur les périphéries.
Notre grand combat à venir est inéluctablement le travail pour investir sur l’humain afin qu’il soit au centre des projets. Autrement, dans les élans les plus salutaires, le monde sautera dans des « inhabitables ». En attendant, les comptes-rendus de la COP28 arrivent et l'environnement se demande, scpetique, ce que nous feront de nos slogans verts et de nos selfies.
Il y a bien urgence de revenir à la cible que nous voulons servir en attaquant un problème local, national, continental ou mondial.
Pour cela, il faut plus à mon avis poser la question de savoir jusqu’où nous mènerons les modèles, les outils, les idéologies, mais jusqu’où nous sommes prêts à aller avec eux ?
Mes encouragements.