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Dans une course enfiévrée : l’urgence du temps à prendre

Dernière mise à jour : 4 août 2023

En 17 ans d’existence, le réseau social Twitter a enregistré 353,9 millions d’utilisateurs. Threads, tout nouveau réseau social créé par Meta, considéré comme un sérieux concurrent de Twitter enregistre en un peu plus de 24 heures, plus de 50 millions d’utilisateurs. Oui, la nouvelle bête tient sa promesse.

Threads ressemblerait à une combinaison de Twitter et d’Instagram. On peut y publier du contenu écrit jusqu’à 500 caractères ; le design et le mode de navigation est proche d’Instagram. D’ailleurs, on utilise les identifiants Instagram pour y créer un compte.


La ruée vers cette application montre comment le cyberespace se présente comme l’expression idéale de l’explosion des vitesses. Ces applications-évènements nous révèlent surtout comment les centres du pouvoir se déplacent. Nous sommes dans un contexte où les modèles de représentativité s’essoufflent, les manifestations populaires se multiplient et lorsque certains chefs d’Etats et de gouvernements désignent les réseaux sociaux comme leur parfait bouc émissaire, les citoyens les adoptent pour protéger leur liberté d’expression, quitte à se connecter avec des VPNs (Réseaux privés virtuels).


Un autre aspect intéressant est le fait que les dirigeants des géants de la technologie fixent, d’une certaine manière, l’agenda du monde car ils ont le pouvoir d’orienter notre attention, de nous proposer leur calendrier de priorités et même d’esquisser, selon leurs lunettes, un angle de regard sur notre condition.

Par conséquent, au-delà de cette compétition Threado-twitternesque, et de l’émerveillement éphémère face au nouveau, il y a de grandes questions à poser.


Qui définit la liberté pour nous ?


Notre époque montre comment la notion de liberté est souvent instrumentalisée comme mot-valise pour justifier tous les projets, tous les écarts, toutes les dérives. Et même lorsque des individus ont un quelconque pouvoir de créer ou de censurer certaines règles au nom de la liberté d’expression, sans le dire, ils nous imposent ce qui est la liberté et ce qu’elle n’est pas. Si on doit adhérer à une conception de la liberté pour être libre, on la vie en mirage. Les néo-prophètes de la liberté nous ont bernés pour nous prendre dans des projets capitalistes, nihilistes, égoïstes.


Threads, la théorie du bon timing


Depuis que Elon Musk a racheté Twitter, la twittosphère est secouée par des bouleversements à chacune de ses décisions jugées parfois impulsives. Après le licenciement de près de la moitié des employés et autres décisions polémiques, il en est arrivé à créer une politique qui limite le nombre de tweets selon le type de compte. Les utilisateurs ne peuvent pas consulter les tweets sans se connecter à la plateforme. Les comptes vérifiés peuvent désormais lire 6 000 messages par jour, les comptes non vérifiés 600 messages et les nouveaux comptes non vérifiés 300 messages. Après cela, les utilisateurs recevront un message indiquant que la limite de vitesse a été dépassée.

Ces décisions fâcheuses ont poussé beaucoup de membre à migrer vers Mastodon, un réseau social de micro-blogging, libre, open-source et décentralisé créé en octobre 2016. Les dirigeants de la plateforme affirme avoir gagné 230 000 utilisateurs en une semaine.

Cette stratification des utilisateurs a créé beaucoup de frustrations et a sapé même le principe qui consiste à mettre sur une même ligne tous les utilisateurs quel que soit leur statut.

Avec l’arrivée de Threads, certains utilisateurs ont juste pris leurs bagages pour montrer leur déception face aux politiques imposées sur l’oiseau bleu.

Dans ce contexte, le concept de Threads déjà baptisé « Twitter-Killer » donne des ailes aux utilisateurs et une porte de sortie surtout quand Mark Zuckerberg, PDG de Meta, dans un post sur la plateforme affirme : « Nous espérons prendre ce qu'Instagram fait de mieux et créer une nouvelle expérience autour du texte, des idées et de la discussion de ce qui vous préoccupe. »


La pandémie de l’addiction

Dans cette compétion des géants qui nous perfusent d’applications dans une course frénétique, la seule piqûre qui pourrait nous protéger est de savoir prendre du recul, prendre le pfizer de l’esprit critique et porter souvent le masque de la déconnexion.

Il faut rappeler que l’intelligence artificielle rentre dans une nouvelle ère avec les IA génératives.

Dans la série des grands modèles de langage, après l’agent de conversation ChatGPT, Google a lancé son équivalent sous le nom de Bard, et Microsoft propose Bing Chat. Ces chatbots entraînés sur des données font déjà des miracles et peuvent déjà remplacer l’humain sur certaines tâches.

Pour une personne qui vit avec des agents de conversation capables de produire à sa place et sous une pluie de notifications venant de Tik-Tok, Instagram, Facebook, WhatsApp, Twitter, Threads, il y a deux grands risques auxquels elle est exposée quels que soient les grands avantages que nous n’ignorons pas.

Le premier est celui d’arriver à ne plus raisonner, entretenir un esprit critique, avoir la subtilité de faire des recoupements, des corrélations car il y a une machine qui nous propose déjà un contenu.
Le second est le fait de ne plus faire connexion avec soi, avec l’autre et son environnement, car l’attention est toujours prise en otage. C’est la fissuration du lien social et du rapport à l’humain qui se poursuit et cette fois-ci, à une plus grande vitesse.

Des Etats faibles ou en retard : les créateurs d’applications donnent le là…


L’application Threads est déjà active dans 100 pays dans le monde, mais n’est pas encore utilisable dans l’espace de l’Union Européenne. Pourquoi ? Parce qu’en raison d’incertitudes réglementaires sur la protection des données, le lancement y a été reporté. Ce véto a été possible grâce au règlement DMA (Digital Markets Act) du 14 septembre 2022, et le règlement sur les services numériques (DSA). En effet, l’Union européenne a été assez vigilante et courageuse en prenant une décision forte consistant à « lutter contre les pratiques anticoncurrentielles des géants d’internet et corriger les déséquilibres de leur domination sur le marché numérique européen. »

Malheureusement, ce ne sont pas tous les Etats et organisations régionales qui en font une priorité. Ne savent-ils pas que la donnée est le nouvel or gris ?

En termes d’encadrement et de législation, il y a des efforts importants à faire par les Etats mais, faut-il le mentionner, le retard est double. Non seulement il n’y pas assez ou pas de mesures pour accueillir cette vague de digitalisation mais les innovations vont plus vite que les législations qui peuvent être des machines lourdes, et donc lentes et pas faciles à mettre à jour.

L’Etat est aujourd’hui mis face à l’épreuve de sa propre obsolescence et à l’urgence de repenser ses leviers de gouvernance, surtout ceux auxquels, les citoyens, « e-citoyens » ne s’identifient plus.



Les espaces de "temps-long" désertés


Dans cette civilisation de la spontanéité, nous ne nous donnons pas assez d’espace pour réfléchir, prendre le temps de la consultation, du débat, de la réflexion profonde sur nos enjeux politiques, économiques, socio-culturels.

Chaque société doit pouvoir imposer son rythme à la machine, sa cadence à l’algorithme et non le contraire. Nous pouvons être connectés tout en nous donnant le temps de réfléchir sur le type d’éducation adapté à notre temps et à nos valeurs, le modèle de société à préserver, réfléchir sur nos urgences environnementales, sur des modèles politiques plus inclusifs et plus dignes.

Ce temps est un prix à payer pour ne pas miser sur la légèreté, ne pas construire sur des fissures négligées et ignorer les grandes dislocations, les sévères dessiccations qui nous menacent et vont nous rattraper et éprouver aussi les générations futures.


En fin de compte, la concurrence entre deux géants d’Internet est une rivalité entre deux entrepreneurs, le véritable combat pour nous est d’ordre civilisationnel car il implique le choix d’un devenir humain avec la machine ou d’un devenir homme-machine, néo-zombies connectés pour remplacer homo-sapiens. RIP ! La balle est dans notre « Threads ».
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