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"Uni-rêve brisé"

"Uni-rêve brisé"

Les étoiles s’apprêtaient à faire le salut final de leur danse nocturne, la lueur diaphane de la lune disparaissait petit à petit derrière l’aurore qu’annonçait le chant strident du coq, le muezzin d’un pas pressant, se dirigeait vers la mosquée.

Avant que la première note de l’appel ne perce le minaret, Yaye Khar [1]se leva. Elle mit sa camisole aspergée d’eau de Cologne, se débarbouilla et abrégea sa prière. D’un pas précipité, sous le concert des mouches matinales, voilà que son foulard est autour de ses reins, laissant se balader ses boucles d’oreilles en bronze déteint. Au milieu de la grande cour, gisait un « Mbar » en toit de rônier et suspendu par des branches d’arbre. Au-dessus de ce mbar qui servait aussi de porte-pacotilles, il y avait le panier de Yaye Khar. Un panier blanc noirci par la corvée et les écailles de poissons. Elle s’en saisissait pour se rendre au bord de la mer en attendant l’arrivée des premiers pêcheurs. Avant que les pirogues ne touchent la berge, charretiers, vendeuses et amarreurs se ruaient vers ces barques pour se servir les bonnes parts à vendre.

Yaye Khar remplissait son panier de « Dorate, yaboye, de capitaine, de beurre[2] » et empruntait ainsi d’un pas déterminé et rempli d’espoir les petites ruelles de la Médina, avec ce fameux : « aywa Djen, aywa djen[3] ». Elle psalmodiait ce vers comme une relique sacrée à haute voix. Les mères de familles l’interpellaient ci et là pour voir ces produits du jour, celles qui la connaissaient passaient sur son nom avec le sourire, ou l’appelait « sama client[4] », et celles qui ne la connaissaient pas l’appelait « Adja » ou « Borom Djen[5] », et s’élançaient dans un marchandage interminable.

Je saisissais la patience de Yaye Khar, elle vendait ses poissons avec la maîtrise de l’art du marketing adapté à chaque porte-monnaie. J’admirais l’endurance aussi d’une femme qui sous le poids de la cinquantaine, et d’un panier de vingt-cinq kilogrammes faisait au moins cinq kilomètres pour vendre ses poissons. Un parcours avec son lot de déceptions, d’acheteurs arrogants, jalonné par le risque de perdre et son gain et ses poissons qui menacent de pourrir après un certain délai.   Je suis séduit aussi par son optimisme, cet espoir qui fait palpiter le cœur d’une mère, qui se bat que pour le sourire de cet enfant qui l’attend. Là-bas.

Déjà à 7h30 minutes, elle avait assuré la dépense journalière, et devait se précipiter à la maison pour préparer son enfant qui doit aller à l’école.

« Saura, tu es toujours au lit » s’écrit-elle, « Eh Saura, Combien de fois dois-je te rappeler que celui qui cherche le savoir doit dormir peu» reprit-elle, désespérée, inquiète, fatiguée.

Saura, encore moins préoccupé par cette peine, prenait le temps de s’étirer, de se lever en toute nonchalance, la tête décorée par les effritements de l’éponge du matelas, pour aller se débarbouiller. Yaye lui donne du pain beurre et du quinquéliba qu’il avala rapidement et se dirigea vers l’école. Il est l’élève « no stress », il allait en classe en culotte et un t-shirt au col étiré, avec à la main, qu’un cahier corné en chaque page, un stylo sans capuchon, une règle brisé et ses sandales rafistolées.

Il brûlait d’envie de réussir pour aider sa chère mère, cette Yaye qu’il aime tant, sans jamais le dire, ni le montrer. Mais il donnait la mine d’un ‘sans souci’, quelqu’un pour qui la vie, n’est que joie et sourire. Cet esprit positif l’a beaucoup aidé dans sa vie, pour passer les classes sans les fournitures nécessaires, pour avoir la moyenne dans un cours raté car le professeur l’a exclu pour n’avoir pas eu de crayon, pour avoir un examen sans avoir le temps de préparer un devoir car vivant avec un père qui l’envoyait à l’atelier après l’école. Bref ce Saura voyait en la vie qu’un fleuve aux soubresauts tranquilles.

Saura devait être le premier à passer l’examen du Bac chez lui. Personne de sa famille ne connaissait rien de tout cela, donc il n’eut pas le privilège des bonnes chances, de Papa qui tire le chapelet et de Maman qui vous frotte de reliques sacrées.

Même sa convocation était gardée par son professeur d’Histoire et de Géographie jusqu’au jour-J de peur qu’il le perde.

« Jury 812, Centre Du Lycée de Médina, sont déclarés admis au premier tour par ordre de mérite :

Numéro : 9123, Saura Ndir, mention Bien » suivi de cris, d’applaudissements, et de grincements de la radio qui disparaissaient dans le brouhaha et les victuailles, voilà comment sa mère a appris que son fils faisait le BAC. Elle se vit envahie par la joie sans savoir pourquoi les autres lui disaient « Ndokalé, suniu dome dji amna[6] ».

La première chose à quoi elle a pensé en entendant ce nom, c’est que son fils serait interpellé par la police comme les dealers de drogues recherchés depuis la veille.

Saura fera son arrosage à l’atelier de cordonnerie où il passe ses vacances et il va atterrir à la faculté de Droit de l’Université Gaston Berger.

Pour la première fois, il quittait cette mère qui le réveillait tous les jours, pour aller poursuivre un rêve, celui d’être un avocat, celui de construire une maison pour maman, celui de lui rendre ce sourire qu’elle lui a toujours procuré. Cette Yaye Khar, qui est tout pour lui.

Naturellement, il est à la Faculté de Sciences Juridiques et Politiques et découvre un nouvel univers, le va-et-vient entre campus social et amphi, acheter un ticket et faire un rang pour manger. Le professeur ne dicte plus, il vous oriente et vous demande de photocopier le fascicule qui sortira à l’examen. Ah, il fallait s’adapter très vite. Saura découvre les « thiébous-diène [7]» semblables à des « sombi [8]», les bourses payées le 19 du mois, tous les spectacles qui poussent les étudiants à crier sur le macadam leur ras le bol.

Ses cours d’amphi sont transformées en cours sur l’art de jeter des pierres et de recevoir les lacrymogènes, il suit des TD en comment tenir des mots d’ordres.

Ils voient ses professeurs qui lui balancent des polycopiés et s’envolent faire leur « Khar maat [9]».

L’avenir des étudiants est moins important que leurs poches, décidément.

Saura a fait 24 mois à l’Université sans savoir s’il est en deuxième ou en première année. A la Faculté de science Juridique, il apprend le droit de la confusion, le contentieux de l’égarement et de la démotivation.

Au milieu de cette pagaille estudiantine, on a tué son camarade car il réclamait sa bourse, car une administration incompétente a remplacé les stylos par des balles réelles.

C’était la goutte qui fit déborder la vase, Saura fut rappelé par ses parents.

« Tu étais parti chercher le savoir mais pas pour qu’on te perde » disait son père meurtri et déçu.

Sa mère, ne trouvait que le fameux « Yalla bakna [10]» pour le consoler.

Par la suite l’année fut invalidée, un rêve fut brisé. Saura pour tenir sa promesse, d’aider sa mère, partit aussi chercher son panier.

Ce jour, tôt le matin, sa mère se leva. Il se leva. Elle prit son panier. Il se saisit du sien. « Où vas-tu ? » Demanda sa mère surprise, il rétorque : « je vais attendre la pirogue. Comme toi »

Saura qui rêvait d’enlever des mains de sa mère le panier de poissons, se vit porter un panier de poissons aussi. L’Université qui portait son rêve était un univers criblé de saleté, voilà que son rêve est à l’eau, consolé par un poisson. Quel Univers brisé !

Patherson


[1] Maman Khar

[2] Des espèces de poissons

[3] Voilà des poissons, une manière pour la vendeuse de se signaler

[4] Mon client

[5] La vendeuse de poisson

[6] Félicitations, notre fils a réussi

[7] Riz au poisson, plat national du Sénégal

[8] Bouillie

[9] Le fait de faire cours dans les écoles privées quand le public est en grève

[10] Expression fataliste signifiant Dieu est bon

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