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La rose sur le tombeau

« Ci-gisent Mademba et Anta, martyrs dans une bataille d’amour » pouvait-on lire sur leur épitaphe commune.



Mademba vient de Diaffa, un petit village de la région de Dinguiraye, riche de ses palmiers et de ses eaux poissonneuses. En ce moment, vas-y, tu entendras des femmes piler le mil pour le couscous du soir, en chantant. Je te promets, le chœur est paradisiaque sous le zéphyr qui fait danser les feuillages des arbres. Pars écouter, reviens pour qu’on en parle. De la musique pure !

Après son bac, dans le seul établissement public de sa région, le Lycée Bruno Diatta, il devait aller dans la capitale, pour continuer les études universitaires. Il était orienté au département de géologie de l’université Kéba Mbaye. Ce fut d’ailleurs son premier choix, et son vœu fut réalisé grâce à un brillant résultat au baccalauréat scientifique.

En quittant sa maison, son père lui confia une chose : « Mon fils, je t’ai éduqué et je t’ai transmis des valeurs. Au moment où le bonnet de papa te va désormais, tu t’en vas vers un autre monde qui a ses réalités. Mais quels que soient les tumultes de ce monde, je crois que tu as des principes de roc. Que tout ce que tu mangeras soit le fruit ta sueur, si un ami tu dois avoir, qu’il soit celui qui t’aidera à grandir et non celui qui te distrait, et n’oublie jamais ce pour quoi tu pars loin de ta famille : étudier. Demeure honnête et courageux et n’oublie jamais tes origines. »

Et sa mère lui demanda de porter en bandoulière ceci : « Mon fils, soit patient, les plus belles choses se construisent dans le temps, montre la voie à tes jeunes frères et sœurs et rend nous fiers où que tu sois. Toujours, rappelle-toi, que ton temps est précieux et qu’il ne faut pas le perdre dans des futilités ».

Sur ces mots, Mademba s’en allait sur le chemin du destin.

Il était resté lui-même, et ses fréquentations formaient un rectangle : dortoir, amphi, salle de sport, resto.

Un après-midi, juste après la queue au resto en attendant les cours du soir, ses colocataires, jeunes étudiants comme lui, se sont permis de fumer du chanvre dans la chambre. Tout d’un coup, un des camarades leur siffla que la police était en train de faire une visite inopinée. Pris de panique, ils dissimulèrent leurs joints sous le matelas de Mademba alors absent, et prirent la fuite. La police était venue dans ce temple du savoir dans le cadre d’une investigation à propos d’une enquête en cours car on leur avait signalé la recrudescence du phénomène du chanvre chez les étudiants.

Les agents arrivèrent dans la chambre, n’y virent personnes, mais sont alertés par l’odeur. Ils procédèrent à une fouille pour voir le cinéma sous le matelas de Mademba.

Naturellement, Mademba fut convoqué pour lever le voile à propose de cela. Mademba ne savait même pas à quoi ressemble le chanvre et affirma qu’il ne savait pas comment ce truc avait atterri sous son lit. Devant de tels faits, son alibi était bien faible, balayé d’un revers de main pour son interlocuteur.

Mademba, dans sa triste surprise, effaré, hébété et impuissant, sera jugé en emprisonné sans appel.

Dans sa geôle, Mademba recevait tous les jours un bol bien garni pour son repas de midi, et à chaque fois qu’il demandait celui ou celle qui l’a amené, on lui répondait que la personne souhaite garder l’anonymat. Mademba ne parvenait jamais à manger ce repas, il l’offrait aux autres prisonniers. A chaque fois qu’il ouvre le bol, l’odeur semble lui dire que sa mère est au courant et qu’il est venu jusque dans la capitale pour prendre soin de son fils.

Cette personne anonyme était Anta. Elle partageait le même amphi que Mademba, l’a vu, l’a apprécié, et l’a aimé sans jamais le lui dire. Cette nouvelle l’a choquée et elle n’a jamais cru à la version policière. Cette police selon elle, cherchait un coupable, et l’innocent Mademba était juste le parfait bouc émissaire.

Anta ne parvint point à faire ce geste altruiste et d’amour sans ramasser des réprimandes, sans essuyer les regards qui la jugent, sans entendre des propos maladroits. Sa mère lui disait : « J’ai payé tes études et je ne te demande que d’apprendre et toi, tu veux me décevoir en suivant un voyou, un va-nu-pied de prisonnier. Tu es ma honte Anta ».

Anta décida finalement de partager son sentiment avec Mademba en insérant sa lettre dans le bol. Mademba découvrit ces mots avec soulagement car il savait après six mois de prison que ce n’était pas sa mère, mais aussi ses yeux pétillaient de savoir que même en prison, il pouvait compter sur quelqu’un et que là-bas au dehors, une personne croyait en sa bonne foi.

Depuis ce jour, le bol qui contenait le repas était en même temps une poste. Anta y mettait sa lettre du jour, et Mademba remettait le bol au pénitencier en y joignant sa réponse.

Le mensonge a pris l’ascenseur et la vérité les escaliers. Mais elle arriva finalement. La police fit le privilège à Anta de rouvrir l’enquête et de prouver que Mademba était juste une victime.

Avant que l’enquête ne soit totalement bouclée, Anta avait déjà trop pris sur elle. Au mauvais moment, un camarade de classe s’est permis de lui dire : « hey Anta, Saint Valentin arrive, j’espère que tu vas le passer en prison ». Cette blague était la goutte qui fit déborder le vase, Anta ne pouvant plus contenir toute sa colère, frappa sa gourde en aluminium sur la tête du moqueur. Il tomba en syncope et fit une crise cardiaque. Ce ne fut guère son intention de tuer, mais voilà que la nature en a décidé autrement.

Evidemment, Anta fut jugée et emprisonnée. Elle s’était battue pour la libération de Mademba, voilà qu’elle entre en prison au moment où Mademba en sort.

Dévastée, sa mère vint l’achever en lui assenant toutes les insultes qu’elle connaissait jusque-là et renchérit : « comme tu aimes un voyou, pars le retrouver en prison, moi tu ne me verras plus jamais. »

Mademba fut réhabilité de ses droits à l’université et on lui paya des indemnités. Il fit directement un courrier à sa famille lointaine pour leur expliquer sa mésaventure. Mais il s’engagea aussi à soutenir celle qui lui a permis de se sentir libre en prison. Avec sa maigre bourse, Mademba allait tous les jours payer un repas et l’emmener à Anta, avec une note dans le bol.

Lui aussi, il n’échappa pas aux mots abjects. Et quand on lui demandait pourquoi il aimait une meurtrière prisonnière : il répondait calmement : « cette meurtrière m’a redonné une raison de vivre quand la tristesse me rongeait. Cette prisonnière m’a libéré quand les autres m’ont emprisonné. »

Un vendredi, Mademba voulant faire plaisir à Anta, a fait sa commande aux Délices de Midi, un restaurant très prisé par la bourgeoisie de la capitale. Mais la commande pris un peu de temps et Mademba devait se précipiter avant que les heures permises pour la visite ne s’écoulassent.

En courant pour traverser la route, Mademba fut fauché par une voiture. Sur le chemin de l’amour, Mademba se baignait de son sang et rendit le dernier souffle en chantant la bienaimée.

Anta ne vit pas Mademba ce jour-là, et deux jours, ensuite trois jours passèrent, sans qu’Anta ne perçût l’ombre de Mademba. Elle aura pensé à la trahison, à la maladie, au fait que sa moitié est partie voir sa famille sans la prévenir sans jamais avoir une idée nette de ce qui se passe. Une pénitentiaire qui était finalement familière à Mademba, lui raconta la tragédie.

Anta pleura Mademba, le seul qui croyait encore en son humanité. Le seul qui avait accepté qu’elle était de bonne foi sans même exiger une quelconque explication. Si demain devait être possible, il serait grâce à ce Mademba qui se sacrifiait pour lui faire vivre le paradis en prison.

Choquée, dépassée, meurtrie, elle ne mangeait plus, ne parlait plus, et avait perdu le sens de la vie. Cette situation invivable la conduisit à l’hôpital. Elle était tellement faible, qu’elle fut hospitalisée.

Là-bas aussi, même sa mère ne feignit de la rendre visite.

A la troisième nuit à l’hôpital, elle n’en voulait plus de cette vie où elle se sentait rejetée, bannie, et abandonnée. Elle voulait rejoindre celui qui lui donnait encore une seule raison de vivre.

Elle enleva sa perfusion et avala les comprimés qui restaient dans son médicament.

Tôt le matin, le médecin qui venait faire un contrôle de routine, espérant voir une Anta qui se sentirait mieux, a trouvé un corps inerte. Il ne restait plus rien.

Ah si il restait quelque chose. Un petit bout de papier à son chevet où elle écrivit :

« Enterrez-moi à côté de celui qui mourut en essayant de me donner des raisons de respirer ».

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