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La lettre sur un ruban

Elles trempent leur plume dans des larmes roses

Et vous content en silence une vie

Devenue morose

Ne les ignore pas. Tu es concerné…


Ibrahima Mbeuleukhé, le 36 Lunaire 2020


Cher Ami Joaquim,

Au début de cette courte lettre, Mariama BA m’a enseigné dans une longue lettre que la confidence noie la douleur et j’espère que les tumultes de notre enfance qui scellèrent notre amitié aideront à calmer la vague de boue dans laquelle s’est embourbé mon cœur.

J’espère d’abord que tu t’adaptes dans ton nouveau pays, Tokabilagnolé, et que tu as enfin retrouvé tes repères. Mais tu n’as rien raté ici à part « la fête du couscous » avec ses ambiances et une chaleur qui nous persécute de jour en jour.

Tu te rappelles certainement la dernière fois qu’on s’est parlé, tu me taquinais en me glissant que j’avais pris un coup de jeunesse et sur ce même ton, tout jovial, je rétorquais en te disant que c’est grâce à ma nouvelle conquête et on s’exclamait de rire. L’image même me revient.

Ce n’était pas une conquête en réalité, ce fut un coup de foudre, une rencontre qui n’arrive pas tous les jours dans la vie, cette symphonie que l’orchestre du cœur bat et réussit qu’une seule fois. Donc je me rectifie, encore une fois, cela n’avait rien d’une conquête, mais ce fut le moment dans lequel l’irascible cherche secours dans le sensible, ce sensible veut que l’intelligible décortique, alors qu’il est assommé depuis le premier coup, ce moment où le vrai amour commence.

Tu auras du mal cher ami à me croire, car tu as gardé de moi l’image du coureur de jupon ayant fait 2 jours avec Léa, 3 jours avec Anna, 8 heures avec Clarice, et enfin une certaine Clara, plus chanceuse car elle a su me garder 2 mois 13 jours.

Mais cette fois-ci c’est bien différent, c’est une autre histoire, c’est pourquoi je t’en parle. C’est une aventure dans laquelle mon plaisir a augmenté à chaque fois que se multipliaient les obstacles.

C’était un de ces dimanches pendant lesquels, comme à mon habitude, j’apprenais mes leçons au bord de la plage, loin de la zone de baignade bien sûr, profitant du calme pour inhaler mes cours kilométriques comme de la boisson.

C’était toujours une solitude légendaire, mais ce jour-là, une fille m’y avait trouvé, pour apprendre elle aussi. Qui lui a indiqué ce cercle que je gardais jalousement ? Je ne sais pas ! Elle vint, passa un salut timide, et se mit à 4 mètres de moi. Elle n’enleva rien en mon silence mais me déconcentra énormément car elle avait fait l’erreur d’apporter un excès de beauté dans mon havre sobre, accompagné d’une force de caractère, ce qui me marqua le plus. Je la lorgnais, elle restait plongée et concentrée dans ses cahiers. La nature joua en ma faveur en envoyant un vent violent qui fit voler tous ses papiers et les éparpilla. Je l’aidais à les rassembler, mais en toute franchise je voulais juste l’approcher, la dévisager, l’apprécier. Je pris quand même le temps de mettre dans un ordre pointilleux ses feuilles et les lui remettre. J’avais déjà survolé sur ses écrits toute une littérature avec Horace, Virgile et Charles d’ Orléans. Son merci exquis, son sourire qui déchire et ses yeux de gazelle m’extasièrent. Et ma passion pour les lettres m’encouragea à amorcer la conversation. Elle s’appelle Edna. Elle me fit savoir qu’elle est étudiante en lettres modernes, je lui disais que je suis étudiant en philosophie. Elle aime la profondeur de Nerval, j’adore le symbolisme de Baudelaire. Elle aime la poésie, une bonne nouvelle car je suis passionné par les nouvelles. Nos goûts se conjuguaient, nos regards se parlaient, chaque geste nous trahissait car on se comprenait parfaitement déjà, oui déjà. C’est ça Joaquim, pour ton cours, ce que j’appelle « âme sœur ». Le coup était parti mais avec un hic : c’est Ibrahima et Edna. Je suis musulman, elle est juive. Je me dirige vers la Mecque, elle est en direction de Jérusalem. Mais peu importe.

Elle me reprocha avec plaisir d’avoir volé son cœur, je l’accusai d’avoir envahi mon univers, Oh que nous nous saisissions !

Ce que les autres appellent différence, nous en avions fait complémentarité, ce qui paraissait paradoxal était pour nous cohérent. Elle me parla des 13 fondements du Judaïsme, je la fis découvrir les 5 piliers de l’Islam, elle me plongeait dans les mystères du Mur de la Lamentation, je la faisais éblouir devant ceux de la Kaaba. On ne s’endoctrinait pas, on échangeait et ceci consolidait nos fois, nous poussant à lire Coran et Thora avec de nouvelles perspectives. J’en étais devenu plus croyant, et elle, plus pieuse.

Cependant, dans sa famille, elle était à la limite persécutée à cause de moi, et cette perle ne me pris jamais pour responsable. On lui disait que j’allais faire d’elle une djihadiste qui explosera en Syrie.

Chez moi, c’était pire. On convoqua une réunion de famille spécialement pour moi. Cette famille a fait de moi un fou, un paria, même un déshonneur car j’ai aimé la femme d’une autre confession, une femme de cœur. Mon amour était plus fort et plus vibrant que le sermon de mon oncle orthodoxe et de mon père radical devant une mère sans mot. C’était plus puissant que la rage et la fureur de mon cousin endoctriné et qui, à l’heure où j’écris est en Nymaly comme combattant du groupe terroriste « la terreur verte ». Tout ce que je ne comprenais pas, c’est comment ils ont trouvé des obstacles que nous les concernés n’avions guère sentis. Notre société est bien bizarre.

Mais aujourd’hui ce cadeau serait-il trop beau pour être vrai ?

J’ai les larmes aux yeux, mon monde s’écroule, j’espérais que ma plume me console mais elle est impuissante, et mes cris ne sont pas à la hauteur pour traduire mon chagrin, car ces caprices sociales n’ont pas brisé nos liens, tu t’y attendais certainement mais on était fort comme le roc, les arguments des uns et des autres qui feraient plier les jurys les plus exigeants, nous ont laissé solides, mais malheureusement, je me suis rendu compte que la nature même n’en voulais pas.

Les ennemis de ce couple parfait ont fait de moi un terroriste alors que mon seul djihad était de rester le complément d’objet direct d’Edna. Ils ont fait d’elle une mécréante alors que son livre saint est écrit par l’encre de l’humanisme.

Si nous avons tenu tous les coups, il est normal que tu te demandes enfin c’est quoi le problème. Ma chère Edna est partie, emmenée par ce qui est devenu le cauchemar qui me hante : le cancer du sein.

Avant que mes larmes ne mouillent ce papier, je tiens à partager le fait qu’Edna a vécu et combattu cette maladie avec moi pendant trois mois, je l’interdisais de mourir, elle me promettait de rester, je la soutenais au milieu de sa douleur, forte et optimiste elle est restée jusqu’au jour où dans son lit d’hôpital, elle me faisait ses adieux. Sachant qu’elle s’en allait, elle me disait : « même la terre ne peut ensevelir mon amour pour toi, le soleil et l’eau ne pourront le rouiller, l’obscurité ne l’empêchera de scintiller, sois fort mon Ibou ».

Quelque chose de plus fort que la pression sociale et le regard coupable l’a emmenée, mais même devant sa tombe où je termine cette lettre, nous vivons ce qui nous lie, un courant tellement fort, que je crois, je crois et je crois encore que reviendra ma tendre Edna.

J’en profite pour dire au père, à l’amant, au frère et au mari, que ce n’est pas une cause féminine, mais un combat pour nous tous pour soutenir un pilier de la société : la Femme.

Cher ami, j’ai été très long, pardonne mon étalage passionné, et mille merci d’avoir partagé ma douleur, plus qu’un ami, tu es devenu un frère.

A bientôt ! Ici, une fine pluie m’accompagne et sa douceur apaise, je crois, le sommeil de ma chère…

Ibrahima

Une nouvelle de Patherson

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