Auteur : Jerry-Gwenaël J.I.Y. AZILINON
Titre : Un peu de nous
Date de publication : juin 2020
Genre : poésie
Il a donné un peu de lui pour nous. Par altruisme et humilité, peut-être, il s’est effacé pour ne pas dire « un peu de moi pour vous », ni « un peu de moi vers vous » mais « Un peu de nous ».
On le comprend, l'auteur veut co-écrire avec ses lecteurs des émotions, un vécu, des identités.
Le langage est le terreau fertile de la suggestion, et donc des nuances. En cinquante nuances Jerry nous montre que la vérité n’existe pas. Chacun a sa vérité. On donne à un objet « sa propre description » à partir de la position ou de l’angle sous lequel on le regarde. Entre dire et ne pas dire, il a bien fait de choisir : la Nuance étroite, fine, intelligente, réfléchie.
Dès le premier poème, l’auteur montre les valeurs humaines auxquelles il tient énormément notamment l’amitié sincère, le qualificatif ici est important ; la fidélité, l’altruisme. On voit aussi qu’il tient à sa famille et à ses amis. Ses amis devenus sa famille!
On y entrevoit déjà son combat pour l’éducation et le respect des droits des femmes. Son féminisme, il le clame, le proclame…
Attachez votre sang, le cœur va décoller…
« Il est socialement prouvé qu’on a tous besoin d’une vraie bande d’amis,
Et si tu trouves qu’ils le méritent, élève-les au rang de famille !
Je ne te demande pas de mettre celle de sang et celle de cœur en conflit,
Je voudrais juste qu’on revoit tous ensemble la définition du terme « FAMILLE »,
Et toi, quelle est la tienne ? »
On sent dans le souffle des vers une analyse chirurgicale des relations humaines. L’auteur interpelle sur le fait que la famille de sang peut nous tourner le dos et on va en construire au fil des rencontres. Parfois, ceux qu’on a trouvé dans la rue, à l’école, à l’université, au travail peuvent devenir notre famille.
Oui l’amitié peut être une merveille, un cadeau du ciel comme il peut aussi être venimeux. Toutefois, Jerry nous donne ici une leçon d’humanité en misant sur l’humanisme : « Peu importe la fin de l’histoire, tu resteras une composante de cet hymne sans aucune rancœur... »
Tant que l’espoir est permis, on peut encore édulcorer nos amers oxymores, et accepter de composer avec de joyeuses mélancolies, signer pour le meilleur.
Subitement, le style de l’auteur m’interpelle. Pour un puriste, Jerry est intriguant.
Il déconstruit les codes et personne n’ose dire qu’il ne fait pas de la poésie. On y entend et ressent le souffle du rap texte. Un peu de slam.
Vous y verrez du Grand Corps Malade et du OrelSan. C’est une poésie décontractée, décomplexée où la rythmique n’est pas fixe, mais le mot a du cœur. Les poèmes font penser dans leur disposition, parfois aux Illuminations de Rimbaud ou aux Feuilles de route de Blaise Cendrars transposés dans ce monde connecté, à l’ère du 2.0 et de la 4G.
« De belles histoires comme ça on en entend chaque jour,
Qu’elle est belle ma maison ! Chez moi, on ne s’encombre de rien,
Un ou deux habits l’année c’est déjà bien,
D’ailleurs, je suis étonné de voir autant de chaussures différentes aux pieds de drôles,
D’hommes qui défilent beaucoup chez moi,
Les humanitaires disent-ils s’appeler, ma foi ! »
Le concert de vers valse et virevolte, et j’ai comme l’impression d’entendre sur le jet et les rejets du Youssoupha, du Kerry James. Jerry, dis-moi, tu écoutes qui ?
Et quand le poète décide de parler de sa peine, il suffit juste de ressusciter Alfred de Musset et de le faire vivre dans ce XXI siècle qui voit le triomphe de l’individualisme, du matérialisme, du terrorisme, de l’extrémisme qui étouffent notre humanisme. Sa peine n’en serait que plus mortelle et son lyrisme encore plus acide.
Fidèle au cocktail de la vie avec ses hauts et ses bas, ses verres de joie et ses fleurs de peine, Jerry ne se lasse d’appeler à plus d’humanité.
Dans un monde où le paraître domine l’être, et où on portait trop de masques invisibles avant que la Covid-19 nous impose d’en porter de visibles, il a bien fait de prêcher en ces termes :
« Être plus vrai, plus naturel, plus tolérant, plus toi,
Sans devoir te justifier, Être sans raison cachée, sans amalgame,
Sans hypocrisie, sans rancune,
Être parce que c’est ce que Dieu voulait de base. »
Comme une leçon inaugurale à l’Université de la Vie, les lignes adressées à l’humanité sont nombreuses. Parmi elles, la religion. Du latin « religare » qui veut dire relier, la religion devrait mieux nous unir que de nous séparer. Nous voguons tous dans la même mer, nous prenons juste des embarcations différentes mais la destination est la même : Dieu.
Je crois en Moïse, en Jésus et en Mohamed, je préfère l’incarner et le vivre que de prêcher une pseudo-fraternité. Pourquoi il est difficile de cohabiter ? La question est existentielle !
J’ai souvent eu un problème avec le mot féminisme car c’est un mot utilisé à tort et à travers, faute de consensus sur la définition, on y met moult contenus.
« Si être féministe c’est défendre les droits des femmes et combattre les inégalités auxquelles elles font face, alors Jerry tu as bien fait d’être féminisme et de nous y inviter. Dans ce cas, je suis partant puisqu’il s’agit tout simplement d’humanité et j’aime à rappeler les propos de Chimamanda Ngozi Adichie qui disait que le féministe est « une personne qui croit en « l'égalité sociale, économique et politique des sexes ».
« Laisse-moi te raconter l’histoire des femmes de ma vie,
je commence par ma mère. Je lui dois la vie et ce qu’aujourd’hui je suis,
Elle a utilisé les bonnes semences et l’arbre est en train de porter ses fruits,
Son parcours scolaire est certes très peu poussé,
Mais je n’ai jamais manqué de rien, ma mère a un super pouvoir : Elle sait se débrouiller ! »
Le poète renchérit
« Je suis une reine créée pour aimer,
Je suis porteuse de vie, créatrice de diversité,
Je suis le côté féminin du Bon Dieu,
Je suis beauté, volupté, porte d’autres cieux,
Je suis une femme ! »
Le « maslaa » est l’opium du peuple. Pour préserver la cellule de base de la société qui est la famille et ne pas perdre la face devant les autres, ici, on crée une omerta de l’hypocrisie. Les choses à dénoncer sont tues, laissant les victimes agoniser en silence. C’est la raison pour laquelle des problématiques comme le viol peinent à être réglées dans nos sociétés. Les bourreaux sont protégés, et les victimes risquent d’être prises pour des parias si jamais elles osent en parler. Voilà une manière d’attiser le feu de l’injustice par un mécanisme social qui n’a pas sa raison d’être. En effet, ceux qu’on protège ne le méritent pas.
Le combat pour les droits des femmes est un sacerdoce pour le poète d’Un peu de nous, à un certain moment, il faut le dire, il ne versifie plus, le cœur prend le dessus sur le processus poétique et il plaide, il cogne, il attaque, il casse, il broie. Oui, à juste titre, il ne doit pas justifier son combat noble, on doit corriger la masculinité toxique.
Les poèmes portent et reflètent le ressenti du poète à travers des vers longs, saccadés, chauds, hargneux.
Je donnerais à un avocat comme texte de plaidoirie « Man’up » ou « Anticonformiste ».
Dans Un peu de nous, Jerry célèbre ces plusieurs « lui ». Il ne veut pas qu’on lui dise qu’il appartient à un pays, il est un fils du continent, qui trouve sa place partout.
Dans ce recueil, il est généreux aussi en y invitant d’autres poètes et poétesses qui ont laissé leur traces dans ce « NOUS ».
Les poètes sont des amoureux. On ne peut pas vouloir l’inspiration de la muse sans aimer. Jerry n’en est pas une exception.
« Il y a des luttes qui valent la peine de prendre certains risques,
Quand je t’arrache un sourire, je suis si fier de moi,
La symphonie de tes fous rires, pour moi c’est un exploit, Par moment je rêvasse, je succombe à l’euphorie, »
Dans ce recueil, on vous conte des rencontres et des ruptures, la difficulté de tourner la page et ce déchirant sentiment de savoir que celui ou celle qu’on aime n’est pas dans le même fuseau horaire.
« J’ai mal de devoir te laisser partir,
De devoir te laisser refaire ta vie,
Je meurs à l’idée de savoir que tout ça, tu puisses l’offrir à une autre,
Egoïste tu diras, oui je l’assume, J’aurais tellement voulu qu’on aille à Bali. »
Pour que le titre fasse sens, porte toute sa signification, ce recueil parle français, un peu de wolof et de l’anglais. Des sensibilités différentes s’y rencontrent, des horizons s’y entrechoquent. La sève y est constamment renouvelée.
On s’élance alors dans un amour Shakepearesque :
“Is she as sensitive as me?
Does she understand the emotion carried by the notes of a violin?
Can she feel the spirituality and trance in a Fela’s song?
The weight that one word can slap on your tongue?
Does she laugh or cry when you make love to her?”
Il faudra dire que le poète est parfois un libertin du style. La métrique démesurée et le langage parfois soutenu, parfois familier. Un peu de nous, c’est un peu de tout. Il faudra s’y faire.
Enfin le poète parle timidement de lui-même, on le perçoit à peine, par humilité ou du moins, il a compris que quand il parle de lui, il parle de nous.
Je retiens que cet ouvrage est un espace de partage où viennent se rencontrer les facettes plurielles d’un être qui nous invite dans son monde, ses valeurs, ses combats.
Quoiqu’il arrive, il reste notre Jeytleman. Vous le verrez au miroir de ces identités et de sa plume généreuse.
Patherson
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