Penser refonder une relation c’est déjà accepter de faire face à ses apories, reconnaître les maladresses qui la rendent malsaine et repoussante, la rééquilibrer, panser le regard porté sur l’autre et surtout s’accorder sur le contenu qu’on met dans les concepts qui désignent la nature de la cohabitation puisqu’il y a, avant les actes, un discours de paternalisme, d’injonctions, de dictées politiques, chargé de connotations péjoratives à assainir vers celui de la collaboration et de la co-construction.
Il est impossible de penser de manière exhaustive toutes les questions qui entourent les relations entre l’Europe et l’Afrique, mais dans le contexte actuel, nous proposons quatre points qui sont décisifs dans la refondation des rapports entre ces deux entités au-delà des déclarations d’intention.
Il s’agit de la gestion de la crise de la covid-19, la gestion de la crise migratoire, la transition numérique et la réponse aux crises sécuritaires.
Dans la volonté exprimée par l’Union Européenne de réinventer sa relation avec l’Afrique, il y a aujourd’hui la covid-19 qui sert de tournant pour mieux jeter les bases de ce partenariat.
Une occasion qui, au-delà des discours embellis à coup de slogans, devrait servir à mettre fin à une relation d’assistanat, à cette politique de la main tendue où les pays africains attendent l’Europe en sauveur.
Si nous prenons l’exemple des vaccins, selon les données de la commission de l’Union Européenne et de la plateforme Our World in Data, ce sont au moins 69% de la population de l'UE qui sont déjà entièrement vaccinées. Une campagne de vaccination démarrée avec une démonstration de force avec la commande de 4,6 milliards de doses soit quatre fois la quantité nécessaire à la population. Toutefois en Afrique, seules dix personnes sont complètement vaccinées sur cent et dans certains pays, moins de deux pour cent de la population sont vaccinées. A part quelques rares pays comme l’Égypte, le Maroc et l’Afrique du Sud, l’essentiel des pays d’Afrique comptent sur l’initiative COVAX développée par l’Organisation mondiale de la santé, une initiative visant à coordonner la recherche sur les vaccins et la production sous licence afin de garantir une distribution juste et équitable dans le monde entier.
Dans ce cas de figure, pour l’UE, au lieu d’offrir des vaccins à l’Afrique, l’opportunité de renouveler la relation s’offre et invite à conclure un partenariat allant dans le sens d’ouvrir des unités de productions et de transférer les compétences afin que les pays puissent produire des vaccins au niveau national.
Par rapport à la crise migratoire, il s’agit d’un sujet épineux auquel il faut trouver des solutions conjointes. Toutefois, il y a un discours dominant qui inscrit dans l’imaginaire collectif que les africains vont inonder le monde. Toutefois, les Africains ne représentent que 14% des migrants. Il faut aussi souligner que plus de la moitié de ces migrants quittent leur pays pour aller dans un autre pays africain. Toutefois, avec les crises politiques, les situations sécuritaires délétères dans certains pays d’Afrique subsaharienne en particulier et les changements climatiques, les flux migratoires sont en train de grimper et l’Afrique et l’Europe auront à travailler ensemble sur des questions structurelles notamment la disponibilité des emplois, le renforcement des institutions et un climat sécuritaire fiable afin de convaincre les jeunes à rester dans les pays d’origine. Changer le regard sur les migrants c’est aussi accepter que certains arrivent avec des compétences et servent dans les pays d'accueil en commençant par les hôpitaux. Donc l’UE pourrait améliorer les conditions d’une immigration légale et d'accueil des demandeurs d’asile dans le respect des droits humains et collaborer avec les pays africains sur une stratégie de démantèlement des réseaux de passeurs.
L’Afrique est en marche pour devenir un géant dans l’utilisation du numérique. Le taux d’accès au smartphone et à internet est inférieur à celui des autres continents mais le taux de pénétration est plus élevé que partout ailleurs.
D’ici la fin de 2025, on estime qu’il y aura 678 millions de connexions en Afrique soit un taux d’adoption de 65 % de la population. Le mobile money aussi est un secteur dans lequel l’Afrique est en avance sur les autres continents. Les opérations en argent mobile représentent près de 25 % du PIB, contre 5 % seulement dans le reste du monde. L’Afrique ne doit pas être considérée comme un marché seulement, mais un espace où il est possible d’impulser des dynamiques d’innovations, des hubs euro-africains technologiques dans lesquels les chercheurs des deux continents pourront collaborer dans la recherche et le développement d’outils dans l’intelligence artificielle, des applications pour améliorer la transparence dans la gouvernance, la sécurité alimentaire etc.
Sur le plan sécuritaire, les défis sont énormes et beaucoup de choses se jouent sur un climat de défiance entre les parties prenantes mais aussi, dans une démarche qui pousserait parfois à penser que les pays qui subissent les crises politiques et sécuritaires sont utilisés pour servir de nouveaux terrainx de bras de fer pour les grandes puissances. De nouvelles occasions pour étendre les influences géopolitiques.
Lorsqu’on parle d’enjeux sécuritaires en Afrique en ce moment, les esprits se penchent naturellement sur le Sahel. Après douze ans d'escalades, ponctuées de putschs, les réponses militaires ne sont pas parvenues à rendre au Sahel sa stabilité. Malgré le retrait annoncé de Barkhane et le lancement de Takuba[1], les relations entre Paris et Bamako se sont tellement détériorées récemment que les conditions politiques, juridiques et opérationnelles ne sont plus réunies pour poursuivre l’engagement européen au Mali. Dès lors, ce jeudi 17 février, la France et ses partenaires européens et le Canada ont confirmé le retrait du Mali des opérations militaires antidjihadistes Barkhane et Takuba du fait de la dégradation des relations avec la junte à Bamako.
Réinventer la coopération militaire entre l’Afrique et l’Europe serait miser sur la formation, l’appui logistique tout en soulignant l’urgence pour les États Africains de se mettre en jour militairement sur les plans tactique et technique avec le soutien des institutions régionales et de l’Union Africaine.
Ces quatre points s'inscrivent dans une brûlante actualité et offrent aux deux entités des occasions rares, des opportunité de prouver leur volonté de donner un nouveau visage à l'histoire qu'elles écrivent ensemble. Une relation saine entre l’Afrique et l’Europe devra passer par la prise en compte des urgences des acteurs qui composent la relation et l’édification de sociétés résiliantes fondée sur des valeurs communes telles que le respect des droits humains. Pour cela, il faut la penser à l’aune d’une Afrique-Europe des peuples construite sur un dialogue dont la volonté est de mieux comprendre l’autre.
[1] La Task-force européenne Takuba, annoncée lors du sommet tenu à Pau en France, le 13 janvier 2020, a été lancée sur le terrain en juillet 2020, avec pour objectif de "compléter" les actions de la Force française Barkhane en termes d'appui aux Forces armées maliennes (FAMa), en matière de lutte contre le terrorisme dans les États du Sahel.
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