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Sculpter la roche noire : une besogne de Fary Ndao

Loin d’être dans l’archéologie des termes savants ou le gigantisme excluant tout profane, l’ingénieur géologue Fary Ndao inscrit le Sénégal en cours d’introduction sur le pétrole dans son premier essai intitulé L’or noir du Sénégal. Pour lutter contre ce débat politiquement vide et émotionnellement désinformé, il emploie une approche purement pédagogique pour juguler la désinformation et nous donner les clés de compréhension d’un phénomène qui a coulé assez d’encre et de salive au Sénégal dans le tohu-bohu des débats de rue.

Dans le dessein d’informer le grand public sur ce sujet jusque-là non démocratisé, il met au clair, au fil des lignes noires les bases techniques, économiques et juridiques autour du pétrole, alerte sur les erreurs stratégiques que pourrait commettre le Sénégal, et ouvre les perspectives d’un pays qui doit trouver des solutions pour la non-dépendance au pétrole à travers une transition écologique.

De prime abord, il fait un déblaiement sémantique en montrant qu’il ne faudrait pas confondre l’énergie avec ses utilisations finales comme l’électricité à la maison. L’énergie, qu’elle soit chimique, mécanique ou calorifique est une « grandeur physique qui se converse au cours du temps, et qui mesure la capacité à changer l’état d’un système ».

Toujours dans cet éclairage sur les mots utilisés, le pétrole vient du latin « petra » signifiant pierre, et « oleum » qui veut dire huile. Ce qui signifie littéralement, huile de roche.

Ce travail scientifique a aussi convoqué les arcanes de l’histoire pour rappeler que l’exploitation moderne de cette huile de roche est né aux Etats-Unis vers les années 1850-1860. En outre, 80% des forages d’exploration pure dans le monde sont des échecs, n’empêche, le pétrole reste la source d’énergie la plus prisée depuis 150 ans dans le monde. La raison la plus simple c’est que l’énergie produite par celle-ci coûte 800 fois moins chère que celle produite par les muscles de l’Homme.

Véritable enjeu géostratégique, depuis la découverte du pétrole en 2014, le Sénégal a un rendez-vous avec son destin. L’auteur qualifie cette année « d’annus mirabilis » ou année miraculeuse, car se justifie-t-il, de 1952 à 2014, sur 170 forages réalisés au Sénégal, seule une dizaine a révélé des indices d’hydrocarbures ou des découvertes soit un taux de réussite d’environ 9%.

Dès lors, pour ne pas transformer le miracle en calamité, l’auteur propose, pour une bonne exploitation du pétrole, d’abord de moderniser la législation pétrolière.

En effet, la loi 98-05 du 08 Janvier 1998 portant Code pétrolier est une loi qui fixe les orientations globales dans l’amont pétrolier sénégalais, c’est-à-dire dans l’exploitation, la production, le transport jusqu’au point de vente. Il ne traite donc pas des activités relatives au raffinage et à la distribution des produits pétroliers qui constituent l’aval pétrolier. Par conséquent, cette approche juridique est obsolète et qu’il faut la mettre à jour en la rendant plus contraignante sur les plans financier et écologique et de traiter avec des compagnies outillées.

L’auteur marque le pas aussi sur la nécessité d’informer les populations pour qu’elles aient les outils nécessaires qui leur permettront d’impulser des contrôles sur la gouvernance énergétique.

Cela conduit aussi à la nécessité de s’inscrire dans des procédures transparentes en cédant les blocs pétroliers avec des appels d’offres exclusifs.

En outre, qui dit industrie, dit ressources humaines. La plume d’or noir fait un clin d’œil à l’INPG (Institut National du Pétrole et du Gaz) en insistant sur la nécessité de former des ressources humaines et d’essayer de rappeler les Sénégalais de la diaspora qui évoluent dans le domaine des hydrocarbures.

Comme il s’agit d’un secteur corruptogène, avertit l’auteur, il est sine qua non de renforcer l’arsenal de contrôle de l’Etat avec l’IGE, l’OFNAC et la cour des comptes.

Dans le même ordre d’idées, il ne faudrait pas que le Sénégal soit dans le rang des pays qui dépendent de leurs ressources et deviennent des Etats rentiers et n’attendent que leur part de l’argent à la fin du mois et abandonnent en plus l’agriculture et les autres secteurs manufacturiers. Pour résoudre cette équation, le Sénégal doit éviter la maladie hollandaise en créant de manière intelligente l’afflux de revenus pétroliers et gaziers. La maladie hollandaise est terme on ne peut plus clair, le syndrome par lequel l’exploitation des matières premières provoque le déclin de l’industrie manufacturière locale.

C’est ce qui pousse l’auteur à s’appesantir sur les enjeux du pétrole au Sénégal.

Sur le plan social, 70% de la population sénégalaise ont moins de 35 ans. Ils expriment des besoins légitimes pour leur épanouissement et leur bien-être. Donc Fary Ndao propose de mettre l’argent tiré de la rente pétrolière dans l’emploi, les infrastructures, et l’éducation.

A propos de l’économie, en plus d’éviter le syndrome hollandais mentionné en amont, l’Etat doit impérativement soutenir les PME/PMI des filières agricoles et agroalimentaires et soutenir la promotion du contenu local.

Quant à l’énergie et l’écologie, l’auteur est assez visionnaire et innovant en mettant sur la table la solution suivante : « décarbonner l’énergie ». C’est-à-dire diminuer la dépendance du transport, de l’agriculture et du secteur énergétique aux dérivés du pétrole en renforçant la part des énergies renouvelables. Dans cette solution, il ajoute et insiste sur le fait de ne pas subventionner l’essence car l’heure n’est pas au gaspillage et l’Etat pourrait ne pas parvenir à le faire durablement. Il souligne aussi le fait que le monde subit déjà un réchauffement climatique qui pourrait s’accentuer et entrainer des emballements climatiques à l’horizon 2030.

La protection du secteur de la pêche est à la une du défi écologique et qu’il faut en sus de cela aller vers l’aménagement des villes vertes.

A cela s’ajoute le volet politique. Comme c’est incontournable, le pouvoir et l’opposition gagnerait à trouver un consensus sur les orientations stratégiques majeures des ressources pour une entente durable car cette industrie est là pour au moins 30 ans.


Plusieurs secteurs touchés, la géopolitique vient s’y greffer de manière indubitable car le Sénégal doit gérer ses relations avec son voisin mauritanien avec qui, il partage un gisement de gaz. Mais aussi, il devra faire ce travail avec la Gambie et investir les axes géopolitiques qui le mènent vers le Qatar, et le Maroc. En terme de défense aussi, il doit être alerte pour prévenir les instabilités du terrorisme et moi j’ajouterai la nécessité d’entretenir et même renforcer notre diplomatie en Afrique et dans le monde en ajoutant au soft-skill de la Téranga un rugissement de lion pour mieux négocier nos propres intérêts dans le long terme pour en bénéficier largement. Le Sénégal doit entamer une transition énergétique durant laquelle il améliore les techniques de cuisson pour diminuer la déforestation, faire aussi une transition écologique en encourageant l’agroécologie.

Comme les revenus pétroliers représentent ce qui reste de la production une fois que les compagnies contractantes ont récupéré leur argent en endossant le risque, le Sénégal gagnerait à baisser les coûts pour des profits considérables. Le Sénégal a besoin du concours de tous dans ce tournant décisif de son histoire. C’est pourquoi on lit dans le livre ces lignes : « L’ouvrage bien qu’ayant une vocation didactique sur les hydrocarbures de façon générale et sur leur place au Sénégal permet la formulation de propositions concrètes aux pouvoirs publics, acteurs de la société civile, opérateurs économiques et citoyens lambda sur la démarche à adopter par le Sénégal pour une gestion concertée et responsable des ressources dans le dessein de servir les générations actuelles et futures ».

Œuvre pratique et didactique, l’ingénieur géologue a eu le mérite de nous tailler une pierre précieuse.

Pathé DIEYE

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