Si vous voulez que votre art vous porte, portez d’abord votre art, soyez son ambassadeur, son défenseur. Votre art est ce que vous en faîtes, vous êtes aussi ce que vous faîtes de votre art.
Souvent, l’artiste se marginalise lui-même, dans une société qui l’a déjà considéré pour un marginal, un paria parfois. Dans la conscience collective, l’artiste est souvent un mal fagoté, avec une cigarette et une démarche bizarre. Et plusieurs artistes jouent le jeu. Ils confirment les préjugés des profanes. Si l’artiste est un élu, je me demande si ceux qui confirment l’a priori des profanes sont vraiment des initiés ?
Nous ne connaissons pas la noblesse de l’art, la preuve, essayez de dire à Papa et Maman que vous voulez suivre des études en art. Je sens une gifle en l’air.
Par rapport aux idées reçues sur les artistes, j’ai une anecdote qui me concerne. Je devais faire une prestation de slam-poésie lors d’une cérémonie. Dès que le MC m’annonce, « Patherson sur scène », on voit un Homme en pantalon et chemise braillée, souliers cirés, tête bien coiffée, et derechef celui qui était à mes côtés, m’attrapa la main et me dit : « mais toi, tu es un slameur ? Oui, rétorquai-je_ slameur moderne alors ? Et je souris me dirigeant vers la scène…
Qu’entendait-il par slameur moderne ? La question même est mal posée car dans son registre d’acception, le traditionnel rime avec le démodé et l’archaïque et le moderne ferait référence à la classe, à ce qui est neuf à l’œil, oubliant simplement que le moderne a juste la vertu d’être plus actuel que le traditionnel. C’est juste une faveur « temporelle » mais ne le rend pas plus valeureux.
Mais enfin, les dérives du langage parviennent souvent à coloniser les esprits et nos systèmes de pensée !
Cette anecdote me permet de parler du statut de slameur. Le slameur est quelqu’un qui fait du slam. Le slam c’est de la poésie déclamée, n’en déplaise à ceux qui ignorent la "poéticité" du slam pour l’apparenter au rap, audacieux sont-ils, ils en font un rap au rythme plus lent. C’est un art militant pas très connu au Sénégal en tout cas.
On réserve à l’artiste le temps de l’intermède, de manière ramassée on veut faire de lui celui qui amuse la galerie, alors qu’on déclame pour proclamer le mal qui râle, dénoncer les manigances et les viles manies, redonner des vertiges à ceux qui évitent les vérités.
Toutefois, c’est à l’artiste lui-même de connaitre sa valeur en étudiant son style par sa capacité subtile de s’écouter, de peaufiner constamment son style, de soigner sa plume, sa voix et sa mise. Ne négligez pas votre mise, ne venez pas en guignol mai soyez aussi sapés que les officiels de la cérémonie à laquelle vous êtes invités. Faire respecter son art, c’est faire respecter sa personne d’abord.
Je disais en amont que l’artiste est un élu. Je pense que je vais être plus ésotérique et dire que le poète est un élu car c’est lui qui capte des brins de vers divins accrochés en l’air. C’est lui qui saisit le langage brut, le dilue et le transmet aux autres avec des mots audibles, accessibles, compréhensibles. Le poète est un traducteur de symboles, le slameur en déclamant une poésie, démocratise le prestige de comprendre, de sentir, de vibrer, d’aimer le rythme de la rime et de la vie, ainsi que les sons de l’inaudible. Slamer, c’est donner souffle à un souffle. Donner de l’écho à la douce symphonie qui coule dans les tréfonds d’un inspiré. Un possédé, pour un instant. Saisis l’instant, vis sa sacralité. Il ne revient pas à tout moment. Ne leur demande pas de respecter ton art, érige-le juste en temple, ils accourront comme des fidèles en pèlerinage. Voyez-vous, les prophètes ont été d’abord des fous.
Enfin, ne cherchez rien dans votre art, faites-le et partagez par passion et par amour. Si vous déclamez avec une plume et écrivez avec la voix pour de l’argent ou de la célébrité, vous devenez esclave dans l’une des meilleures voies pour être libre. La vraie catachrèse est cette dernière d’ailleurs. Psalmodiez sagement le sain sifflement qui surfe en votre sein, slamez.
Patherson
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