Pierre vient d’ouvrir les yeux. Il baille et s’étire ; baille encore, il a presque envie de rester au lit. Comme plusieurs personnes de la génération 2.0, la première chose à faire n’est pas de sortir du lit et aller prendre une douche, il allume son téléphone, perd des minutes sur l’actualité des personnes en déphasage avec l’actualité et les urgences du monde, squatte les statuts, et guette peut-être un premier salut. C’est là qu’il voit des personnes mettre en statut ou en profil le refrain du jour : « Bonne fête des mères ».
Il ne savait pas que c’est aujourd’hui, par effet de suivisme et pour tranquilliser sa conscience, il fouille dans sa galerie une photo de sa mère, la poste avec une maladroite « Bn Ft d mr ». Et pourtant, cela fait plus de deux semaines que cet étudiant en France n’a ni appelé, ni envoyé un message à sa maman. La mère de Pierre vit à Dakar et s’inquiète beaucoup pour son fils allé à la conquête des diplômes. Elle lui demande, s’il n’a pas assez de temps, de laisser juste un message. Pierre pense même que sa mère en demande trop, et procrastine à propos de ce geste d’amour. Demain, je le ferai. A demain, il dira encore, « demain je le ferai ». A demain encore…
Badou aussi n’a su cela que sur le fil d’actualité de Facebook. Lui aussi, il s’y est mis. Sur son mur, on le décrira comme celui qui est très attaché à sa mère et attentionné. Sur cette scène virtuelle, il a écrit des mots, offert des fleurs et chanté sa mère. Toutefois, dans la vraie vie, Badou ne parle pas à sa mère. Comme on dit en wolof, la voir et voir ses intestins n’ont pas de différence. Pourquoi ? Parce que sa mère lui avait caché le secret concernant son vrai père.
Badou la fait souffrir et lui fait regretter d’avoir enfanté. Ce jeune a décidé de punir sa mère oubliant que c’est elle qui lui a donné le plus grand cadeau sur cette terre : le souffle de la vie !
Quant à Ami, lorsque sa mère l’appelle, elle prend le temps le finir son « snap », de répondre à un message avant de rejoindre sa mère nonchalamment. Lorsque sa mère dira sa commission, elle rétorquera : « sheuteuteu Yaye, je suis fatiguée » et pourtant, malgré la fatigue, elle a prévu une sortie avec ses amies le soir.
La mère de Pierre, celle de Badou et celle d’Ami ont par pur hasard partagé la même voiture pour aller au marché. Ces trois braves n’ont jamais reconnu les jours ouvrables des week-ends. Le foulard bien attaché, elles sont des infatigables. Leur rôle pas souvent chanté avec sincérité reste vital dans leur famille.
Aujourd’hui, trois mamans vivant presque les mêmes amertumes qu’elles essaient de supporter, en silence, avec le poids de leur fardeau du quotidien se croisent. Sur ce petit voyage qu’elles partageaient en silence, elles ne se doutaient de rien. C’était la dernière fois qu’elles allaient au marché. Un camion a heurté le « calando », elles sont toutes mortes sur le coup.
Pierre est prêt aujourd’hui à tout donner pour juste revoir sa mère, contempler son sourire. Ce radieux sourire qu’elle avait le pouvoir de garder même dans les tréfonds de l’angoisse.
Badou est prêt à sacrifier ce qu’il a de plus cher pour juste entendre sa voix et ressentir la chaleur de ses tendres mains sur sa tête.
Désormais le plus grand rêve d’Ami est de ressusciter sa mère pour une seule seconde et lui dire : je t’aime.
Leur seule erreur a été de penser que tout était acquis et d’oublier qu’à côté d’une MÈRE, il faut toujours mettre le qualificatif SACRÉ.
Notre mère nous a porté avant que la terre nous porte. Pour prendre soin de nous, nous protéger et nous choyer, elle a investi la même énergie et le même dévouement tous les jours sans exception, même durant une période de maladie.
Je me sentirai alors lâche de choisir un seul jour de l’année pour la célébrer et la chanter.
Comme je ne peux le faire chaque jour, je prendrai toutes les occasions pour une fête des mères. Si une fête des mères permettra pour un jour, à certains de recréer du lien, de dire enfin à cette merveilleuse créature qu’ils et qu’elles l’aiment, c’est déjà un pas.
Alors je vous dis, bonne fête des mères. Que nos attentions, affections et amour ne soient pas seulement virtuels.
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