En 1957, la Reine d’Angleterre restituait à Accra un tabouret « asante » de grande valeur à l’occasion de la célébration de l’indépendance du Ghana.
Depuis lors, l’Afrique attend d’autres pièces dispersées après des expéditions punitives comme celle de la ville royale de Kumasi en 1874, les manuscrits précieux de Tomboctou depuis le XIVe siècle, les bibliothèques de l’empereur éthiopien Thédoros II en de 1818 à 1869 et les précieux trésors d’Abomey.
Déjà en 1978, Mamadou Makhtar MBOW, secrétaire général de l’UNESCO d’alors, faisait appel pour « le retour à ceux qui l’ont créé d’un patrimoine culturel irremplaçable. »
Trente-neuf ans après, c’est un héritier de ce passé lourd, qui ose enfin rompre avec ce jeu de cache-cache avec les lignes de l’histoire qui ne s’effacent pas. « Je veux que d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique ». Ainsi s’exprimait le Président Emmanuel Macron le 28 Novembre 2017 à Ouagadougou. Il confia ce travail à Felwine SARR et à Bénédicte Savoy qui se sont attelés dans un document intitulé « Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle » à démontrer la nécessité de cette restitution comme moyen de panser des plaies psychologiques et les conditions dans lesquelles elle devra s’effectuer.
Reparler de ce sujet est bien complexe comme il s’agit d’éventrer l’histoire et d’avoir le courage d’inhaler la vapeur chaude de ses intestins remplis d’écorchures.
Pour se rendre compte de la pesanteur morale de cet acte, l’Allemagne s’est excusée devant les Héréros peuple du Sud-Ouest africain qu’en 2004, l’Italie s’est pliée au jeu en 2008 pour blessures profondes causée à la Lybie. Le Royaume-Uni a attendu soixante ans pour le faire envers les Mau-Mau du Kenya.
Comme ce fut une dignité atteinte, une humanité humiliée, plus qu’une exploration du passé, la restitution sert à bâtir une « nouvelle éthique relationnelle ». Un sous-titre très évocateur.
Les objets du patrimoine culturel africain ont souvent été des butins de guerre lors de razzias et expéditions militaires. Entre aliénation et dépossession intentionnelle, Polybe a bien fait de qualifier cet acte de crime contre l’humanité car, visiblement, les calamités des africains ont servi à orner les musées et villes européennes.
Cette appropriation esthétique et intellectuelle nous a privés d’une nourriture spirituelle qui est sine qua non à l’épanouissement de nos imaginaires.
Sur un continent si jeune, cette créativité et cette spiritualité permet aux africains d’habiter pleinement la richesse et la potentialité de leur terre pour au moins un équilibre psychologique.
Restituer, c’est « ré-instituer le propriétaire légitime du bien de son droit d’usage et de jouissance ». Mais aussi, il s’agit d’un effort de reconnaissance d’un crime et ensuite d’une volonté de réparation, conditions sans lesquelles une auto-sotériologie réparatrice serait impossible et loin de toute sincérité.
Il faudra bien reconnaitre en outre que les objets, hors de leur milieu naturel ont souvent leur signification altérée et leur symbolique vidé. Toutefois, le retour des objets ne signe pas leur enclavement identitaire mais porte la promesse d’une nouvelle économie de l’échange pour emprunter les termes de Benoît l’Estoile.
Le retour de ce patrimoine reste une demande spirituelle. Il ne s’agit pas du retour de ces quatre-vingt-mille objets provenant uniquement de l’Afrique au Sud du Sahara et des milliers d’autres pour les autres contrées du continent, mais au-delà, il faut voir des ressources créatives, des gisements du génie humain, des expressions multiples du réel. Bref, des puissances de notre psyché sans lesquelles l’avenir est quelque peu obéré. Donc la compensation est plus symbolique que matérielle, et compenser consiste à réparer une relation, les objets étant les nœuds de cette relation.
Le premier enjeu politique de ce projet réside dans la déconstruction d’un contenu dévalorisant pour nous des rapports entre la France et l’Afrique tout en sachant que la restitution, loin d’être un cloisonnement ouvre la signification des objets et entérine leur identité universelle. Les musées occidentaux forment le cachot verni d’une mémoire, il faut la libérer pour combler les trous au banquet de l’universel.
L’Afrique, une fois en possession de son patrimoine pourra réinventer les chemins du rapport avec l’art. En réalité, ces objets avant d’entrer dans l’art étaient l’expression visible d’un mysticisme codé dont la désacralisation et la profanation sont des péchés capitaux.
Pathé DIEYE
Source :
Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle, Felwine SARR, Bénédicte SAVOY, Novembre 2018
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