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Les cartes : entre science et art de la manipulation

J’ai fait récemment, sur Instagram, un post sur lequel, sans être précis ou exhaustif, je disais que la science aussi n’est pas neutre dans le jeu de puissance, d’influence et de domination entre les pays du monde.

Je faisais référence particulièrement à une discipline qui est la géographie et qu’elle est mise au service d’une politique qui voudrait que les pays dits « du nord » soient en haut, que l’Europe soit le centre le monde, et que les pays dits « du sud » soient en bas et en périphérie. Les règles du jeu sont claires. Les plus forts se donnent les moyens d’être en haut et au centre, et laissent le reste aux autres.

Un ami a eu la générosité intellectuelle d’attirer mon attention sur le fait que parmi les nombreux modèles de cartes qui existent, le modèle de Mercator est plus simple à visualiser. Ces projections cylindriques permettent d’avoir une meilleure vue bien qu’il entraîne des disproportions. Toutefois, ces disproportions ne sont pas innocentes. Allons-y alors contredire la science par la science.

Avant cela, je constate que nous réclamons notre souveraineté complète, et nous demandons encore de l’espace aux néo-impérialistes pour mieux respirer, profiter de nos richesses, avoir nos propres modèles de développement. Il est important aussi de voir qu’il y a un champ qui n’est pas assez investi et où se tirent aussi les ficelles de la domination. Ce champ n’est pas investi car on ne le soupçonne pas. On le considère comme un cadre de précision, de calculs universellement reconnus. C’est un pan de la science exacte. Exacte ? Ce mot me pose désormais problème car la géographie que nous avons apprise à l’école ne nous donne pas la carte de la réalité, mais la carte des perceptions d’une réalité géopolitique.


Sur la carte ci-dessus, on voit que le Groenland (en couleur bleu) fait presque la même taille que l’Afrique, alors que dans la réalité, l’Afrique est 14, 5 fois plus grande que le Groenland. Sur la même carte, la France semble avoir la même dimension que le Mali, alors qu’on peut avoir deux France dans le Mali car c’est 640.294 km2 contre 1.241.238 km2. L’Afrique est un don de la terre. Avec ses 30.418.873 km2, elle représente 20,3% des terres émergées, l’Europe entière est 4,4 fois plus petite que l’Afrique.

A quoi ressemble le monde avec la véritable superficie des pays? https://hitek.fr/bonasavoir/regarder-monde-projection-mercator_810

Après avoir manipulé les perceptions, mêmes les appellations ne sont pas innocentes.

Le système dominant a créé un nord et un sud qui n’existe que dans les têtes. La logique voudrait que la terre soit divisée en deux hémisphères séparés par l’équateur. Suivant cette démarche mathématique, on remarque que presque les ¾ du continent noir sont dans l’hémisphère nord, et pourtant, on les appelle des pays du sud. Le dessin qui est derrière est d’installer dans nos regards l’idée que nous sommes en dessous des autres.

Nous ne remettons pas en cause le niveau de développement. Ces pays dits du nord sont plus développés que les pays d’Afrique économiquement, le problème ici c’est que la domination psychologique est plus pernicieuse et pourrait empêcher l’Afrique de traiter avec ces pays d’égal à égal.

Philippe Rekacewicz, dans son article, "La cartographie, entre science, art et manipulation" n’a pas tort de dire « La carte géographique n'est pas le territoire. Elle en est tout au plus une représentation ou une « perception ». La carte n'offre aux yeux du public que ce que le cartographe (ou ses commanditaires) veut montrer. Elle ne donne qu'une image tronquée, incomplète, partiale, voire trafiquée de la réalité. Voilà de quoi sonner le glas des illusions de cette partie du public qui lit la carte comme un fidèle reflet de ce qui se passe sur le terrain[1]

Aussi scientifique et exigeant en termes de précision que puisse être la carte, elle est une toile où se dessine une œuvre d’art politique.

Le traceur qui divise le Maroc et le Sahara occidental par un trait ou des pointillés fait ou exécute de la part des commanditaires une propagande sur les relations entre ces deux entités.

L’appellation qu’on donne à une terre fait référence aussi à l’histoire. Le lien historique de l’Iran à la Perse fait que les iraniens sont contre l’appellation de Golfe Arabe, ils luttent pour maintenir celle de Golfe persique. Ce tiraillement autour de la terminologie révèle encore une fois la rivalité entre l’Iran et les pays arabes.

Il en de même pour les nominations « Proche Orient, Moyen Orient et Extrême Orient ». L’Orient est proche ou loin selon sa distance avec l’Europe[2]. C’est une appellation géopolitique qui sert des intérêts. Dans le Moyen Orient on trouve l’Égypte dans la délimitation occidentale et dans celle de l’ONU[3], mais les géographes arables séparent le Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie et parfois la Mauritanie et la Libye) du Machrek (l’Orient).

Nous constatons que les cartes sont des outils qui peuvent nous donner une photographie du monde, mais il peut arriver que les images soient manipulées au service des jeux de puissance et de domination.

Les cartes ne sont pas innocentes, et ce sont des armes dangereuses car les dominations les plus longues ne sont pas entretenues par des armes, mais par le fait d’atteindre le dominé psychologiquement. Dès lors, les cartes, en agissant sur les représentations, ont étendu les leviers de domination et de contrôle à des niveaux insoupçonnés.

Il est aujourd’hui urgent, au-delà de l’histoire, de la culture, d'enseigner notre géographie. Celle qui nous rend compte de notre gigantesque continent, celle qui nous dit que notre continent est le centre du monde. Il ne faut pas banaliser cela, car il peut contribuer à reconstituer nos fiertés déchirées par des narratifs et représentations qui nous ont toujours dit que notre place est derrière.

Pour reprendre notre place, il faut que nous soyons prêts dans la tête. Donc, à nos vraies cartes pour panser nos séquelles psychiques.







Références [1] Philippe Rekacewicz, La cartographie, entre science, art et manipulation, https://www.monde-diplomatique.fr/2006/02/REKACEWICZ/13169 [2] Lisa Roméo, Moyen-Orient et Proche-Orient, https://www.lesclesdumoyenorient.com/Moyen-Orient-et-Proche-Orient.html [3] L’ONU comprend par Moyen-Orient les États du Proche-Orient s’étendant de l’Égypte à la Turquie mais également l’Afghanistan, l’Iran et l’Éthiopie.

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2 Comments


Patherson
Patherson
Jun 14, 2020

Je t'en prie mon cher

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Merci frère pour les éclaircissements

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