Le 7 octobre 2014, la compagnie écossaise Cairn Energy annonça une découverte de gisement de pétrole au large des côtes sénégalaises. Estimé à 2, 5 milliards de barils, les gisements de Sangomar Offshore Profond et Sangomar Offshore pourraient produire 100 000 à et 120 000 barils chaque jour[1]. Cette découverte a été accueillie au Sénégal comme le graal, la coupe magique qui allait permettre à notre économie de décoller à jamais. Dans la conscience populaire, le pétrole rime avec richesse en un abracadabra. Les plus avertis sont restés dans le dilemme entre malédiction du pétrole et bénédiction de l’or noir. La bourrasque soulevée par les polémiques autour de la gestion du pétrole et du gaz, la cession des permis d’exploitation et le débat national sur le pétrole et le gaz s’est tassée, la pandémie a détourné davantage les regards. Les premières gouttes attendues en 2023, le Sénégal a le temps d’apprendre des leçons de quelques pays autour de lui où la crise actuelle permet d’agrandir les conséquences négatives des mauvais choix et celles positives des bons choix dans la gestion de cette ressource qui peut être l'excrément du diable ou la sueur de l'ange, selon ce qu'on en fait.
Le Nigéria voit en sa force sa fragilité
Comment la première puissance économique d’Afrique s’est retrouvée à emprunter 6,9 milliards de dollars[2] à des institutions internationales comme le FMI et la Banque mondiale pour faire face à la pandémie du coronavirus ? La crise de la Covid-19 n’a-t-elle pas prouvé au plus grand producteur d’or noir du continent, qu’en adossant toute son économie au pétrole, elle se forge le caractère de géant au pied d’argile ?
Le Nigéria est la première puissance économique africaine avec une croissance à 2.7%, soit 476 milliards de dollars en 2019. Il faut signaler, à propos de cette performance économique, que le pétrole contribue à hauteur de 70% de ses recettes publiques et à 90% de ses revenus d’exportation[3].
Pays produisant jusqu’à 2 millions de barils de pétrole par jour[4], le Nigéria a une addiction manifeste à cet hydrocarbure. Par conséquent, la chute des cours mondiaux en deçà de 20 dollars, à cause de l’effondrement de la demande, est en train de précipiter le géant dans une période de récession. Le Nigéria sera obligé de revoir ses prévisions budgétaires pour l’année 2020 qui étaient estimées à 35 milliards[5] de dollars à la baisse, de se résigner à des contractions budgétaires et à s’endetter. La dette sera-t-elle soutenable pour une économie qui risque même une dévaluation du naira ?
Avec plus de 45% de sa population vivant sous le seuil de pauvreté, un système sanitaire faible et l’instabilité de la région à cause de la présence de Boko Haram sourd aux appels à un cessez-le-feu, la pandémie n’a fait que mettre au pluriel la crise au Nigéria.
La leçon à tirer de cela c’est que le Nigéria a confirmé son statut de géant aux pieds d’argile à cause de la non diversification de son économie et le manque d’investissement des recettes du pétrole vers des secteurs porteurs comme l’agriculture et l’élevage ou même dans les énergies renouvelables.
Le Nigéria est traversé par le fleuve Niger et détient 84 millions d’hectares de terres arables[6] et une main d’œuvre jeune. Investir dans l’agriculture pourrait permettre au Nigéria de créer davantage d’emplois et de diversifier ses sources de revenus.
En effet, avec son potentiel naturel, le pays peut se donner les moyens de devenir un grand exportateur de produits agricoles, faisant de l’agriculture son or vert. Les recettes du pétrole pourraient servir à renforcer le système de santé, soutenir le secteur agricole et celui des manufactures. Cette stratégie offrira au pays d’autres leviers économiques autres que le pétrole au cours exposé à des contingences aléatoires.
En Norvège : du pétromania responsable
La pétromonarchie scandinave s’est lancée dans l’exploitation du pétrole en 1969, aujourd’hui, elle est considérée comme un exemple contre la « malédiction du pétrole » en misant sur une gestion éthique et transparente et sur la prise en compte des générations futures. La Norvège a mis en place une cagnotte pour les générations futures estimée 1020 milliards d’euros à la date du 31 Décembre. C’est le plus gros au monde. Avec ce fonds, ce pays dépend de moins en moins du pétrole et injecte les recettes de l’exploitation du pétrole dans des fonds d’investissements. Donc, la Norvège transfère intelligemment sa dépendance du secteur pétrolier vers le secteur financier. C’est ce qui fait que le budget de fonctionnement du pays est moins exposé aux fluctuations du cours du pétrole.
Maintenant, après avoir construit sa fortune sur le pétrole, ils ont fait le choix de verdir leurs investissements.
Classée troisième pays le plus riche par le FMI[7], cette trentième économie mondiale[8] aura donné au monde une leçon sur le chemin à prendre pour dévier les chemins de la malédiction du pétrole à travers la création d’autres sources de financements à partir des recettes du pétrole afin de les diversifier et grâce à une éthique dans la gestion des ressources naturelles.
Précisons que ce pays est bien affecté sur les plans économique et sanitaire par la pandémie de la maladie à coronavirus, mais au moins, ils auraient pris les devants pour ne pas faire des courbettes au FMI.
Leçons à tirer
A partir de ces exemples, on est en droit de dire que le Sénégal gagnerait à miser sur la transparence et l’éthique dans la gestion des ressources naturelles. Ce pays devra utiliser les recettes de l’exploitation du pétrole pour investir dans la formation d’ingénieurs sénégalais du pétrole et du gaz afin de prendre son indépendance dans l’exploitation de cette ressource. Ensuite, il y a des secteurs comme l’agriculture, l’élevage et la pêche qui constituent des leviers importants de notre économie qu’il faut moderniser et soutenir. A travers des stratégies qui visent les populations, elles pourront adhérer à un consensus national dans la gestion du pétrole et se reconnaitre dans les choix pris par les gouvernants.
On se rappelle encore le documentaire de BBC Africa Eye intitulé « SÉNÉGAL : Un scandale à 10 milliards de dollars » et qui a fait des révélations fracassantes autour de l’attribution des permis d’exploitation des gisements de pétrole et de gaz. Dans le tollé, les sénégalais attendait que des explications soient livrées et que chacun reçoive 400.000 francs CFA. Le « hashtag : souniou400.000 » a fait le buzz dans les réseaux sociaux.
La meilleure manière de donner 400.000 francs CFA à chaque sénégalais est de prendre les recettes de l’exploitation du gaz et du pétrole afin de mieux encadrer et de moderniser le secteur de la pêche qui emploie 17% de la population active[9] et dont plus de la moitié font de la pêche artisanale très risquée et défavorisée par les ravages de la pêche industrielle des bateaux étrangers et par la pêche illicite. L’intrusion illicite des bateaux industriels dans notre espace maritime nous fait perdre 150 milliards de FCFA par an[10].
La meilleure manière de donner 400.000 FCFA à chaque sénégalais c’est de protéger et de renforcer les capacités des 60% de la population active[11] sénégalaise qui sont dans le secteur agricole.
La meilleure manière de donner 400.000 FCFA à chaque sénégalais c’est de mieux encadrer et maîtriser le circuit du secteur informel qui représente 41,6% de notre PIB[12]. Il faudra surtout créer un fonds de solidarité pour venir en aide aux emplois vulnérables.
La meilleure manière de donner 400.000 FCFA à chaque sénégalais, vous l’aurez compris, la somme est juste symbolique, c’est de reconnaitre que les ressources naturelles gisant dans le territoire sénégalais appartiennent à tous les sénégalais et qu’il faut les exploiter et les distribuer en toute équité et transparence.
On peut conclure en disant que les recettes du pétrole ne doivent pas créer une dépendance à cette ressource, mais nous permettre de créer et renforcer d’autres leviers économiques plus durables et qui puissent être en phase avec les défis de la transition écologique et de l’équité sociale.
Pathé DIEYE
[1] Manon Laplace, Jeune Afrique, Sénégal : la production du pétrole offshore de Sangomar retardée à 2023, https://www.jeuneafrique.com/860368/economie/senegal-la-production-du-petrole-offshore-de-sangomar-retardee-a-2023/ [2] Le Point, Covid-19 : le Nigeria sur la brèche, https://www.lepoint.fr/afrique/covid-19-le-nigeria-sur-la-breche-10-04-2020-2370927_3826.php [3] Le Nigéria, première puissance économique d'Afrique, https://fr.africanews.com/2020/03/10/le-nigeria-premiere-puissance-economique-d-afrique-revue-de-presse// [4] Jean Tilouine, Le Monde, Le Nigeria paie très cher son addiction au pétrole, https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/05/01/le-nigeria-paie-tres-cher-son-addiction-au-petrole_6038391_3212.html [5] Ididem [6] Olesegun Obasanjo, Le Hub Rural, L’agriculture, le « nouveau pétrole » du Nigeria, http://www.hubrural.org/L-agriculture-le-nouveau-petrole.html [7] Peuplée de 5,35 millions d’habitants sur une superficie de 385 200 km2 (incluant les 62 700 km2 de l'Archipel du Spitzberg), la Norvège est devenue en quarante ans la trentième économie mondiale avec un PIB de près de 418 Mds USD en 2018 : son revenu par tête (près de 78 k USD) la plaçait au troisième rang mondial du classement du FMI des pays les plus riches du monde. [8] Direction générale du Trésor, Présentation de l'économie norvégienne, https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/NO/presentation-de-l-economie-norvegienne-1 [9] Leral net, Exportation au Sénégal : La pêche occupe la première place, selon un conseiller technique du ministre de la Pêche, https://www.leral.net/Exportation-au-Senegal-La-peche-occupe-la-premiere-place-selon-un-conseiller-technique-du-ministre-de-la-Peche_a165099.html [10] ISS, Quelles solutions pour le Sénégal face à la pêche illicite? https://issafrica.org/fr/iss-today/quelles-solutions-pour-le-senegal-face-a-la-peche-illicite [11] Madeleine Mbow, les défis de l’agriculture sénégalaise dans une perspective de Changements climatiques, pp. 7, https://core.ac.uk/download/pdf/84404447.pdf [12] « Impacts d’une amélioration de la productivité du secteur informel sur l’économie sénégalaise » réalisés par la Direction de la prévision et des études économiques (Dpee) selon les chiffres l’Enquête Nationale sur le Secteur Informel au Sénégal (ENSIS) réalisée en 2011 et recueillies auprès de l’ANSD.
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