Mesdames et Messieurs Bonjour, c'est un plaisir de vous retrouver sur cette nouvelle édition du radio Wakazulu international.
Voici les titres:
A la une, un attentat terroriste a frappé l'aéroport Chaka Zulu ce matin, le bilan des victimes est lourd
Sa Majesté et très respecté Empereur UBU du pays des montagnes du nord a reçu son homologue du pays des marigots du sud pour une visite de travail, d'apologie à la dictature dira-t-on.
Les jeunes étudiants « afrotopistes » ont fait une marche pour protester contre l'exploitation abusive des ressources du pays qui sont les biens de la population, disent-ils
Sur la page sport, nous allons à la rencontre des dragons noirs dans les préparatifs de la finale de la coupe du monde.
Comme nous l'annoncions tantôt dans les titres, l'aéroport international Chaka Zulu s'est réveillé aujourd'hui surpris et atteint, endeuillé et attristé par un attentat qui a fait 32 morts et 48 blessés dont 17 graves.
Notre correspondant sur les lieux M. kanga.
M. Kanga : nous voilà en direct de l'aéroport international Chaka Zulu, l'attentat qui fait la une de tous les journaux a fait 35 morts, le bilan s'est alourdit entre temps, et nous prions que ça s'arrête là.
L'attentat est revendiqué par la très célèbre milice appelée « les Aigles Verts ». Et rappelons qu'il s'agit de leur troisième attaque en 4 mois après la statue de l'Espoir, et le siège des serviteurs de sa Majesté, le parlement.
Sssssssssssssssouuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuu !
La radio vient de perdre la fréquence pendant que nous dégustions du « thiaf « et sirotant du thé sous l’arbre du quartier.
Je me sens enfin coupable car nous n’étions en rien choqués, encore moins attristés par cette nouvelle, nous continuions notre conversion, pris nous-mêmes dans le piège d’un monde où la mort se traite par le chiffre, le bilan, le spectacle médiatique, sans compassion, sans humanité.
Je décide enfin de rentrer, essayant de supporter ma culpabilité qui s’est abattu comme une chape de plomb sur mes os frêles, me demandant s’il me reste encore quelque chose d’humain.
L’intelligence artificielle est à des hauteurs qui dépassent même l’Homme qui l’a pensée mais ce n’est pas le plus inquiétant, ce qui inquiète vraiment, c’est le fait que les hommes pensent comme des machines.
On est emprisonné car nous passons plus de 24 heures devant nos écrans par semaines.
D’ailleurs, pour me consoler de mon angoisse, mon réflexe a été de me connecter mais pas de me promener ou de me confier. Heureusement, je fais quelque chose d’utile.
Je tombe sur une information sur le site wakazuluinfo.wk disant que l’auteur de l’attentat a été arrêté par les forces de la Brigade d’Intervention Rapide.
L’inculpé est un jeune à qui je donnerai 20ans au maximum, son visage innocent ne semble pas culpabiliser pour son crime, tellement malingre, je me demande même s’il supporte le poids des menottes encore moins d’oser un attentat.
Le brigadier chargé de faire le premier rapport d’inculpation a eu l’intelligence, au-delà de la procédure judiciaire, d’écouter l’histoire du jeune, pour comprendre, car il devinait en voyant ce gringalet que son geste ne se règle pas à travers des rouages juridiques complexes qui ne servent qu’à maintenir le climat de panique.
Eh bien, voilà le récit de celui qui a terrorisé un pays. Le monde.
« Depuis que j’ai eu ce petit appareil, entre mes mains, j’ai commencé à tout repousser, l’heure de me laver, l’heure du petit déjeuner, et d’arriver en retard à l’école. Mon réflexe dès que j’ouvre les yeux n’était plus de me lever et d’aller prendre ma douche, mais de défiler sur mes notifications, satisfaire ma curiosité sur la dissertation de la vie des autres qu’ils exposent en statuts, en attendant un petit salut. J’étais devenu un cyber-citoyen.
Je suis aussi un accro des séries, j’élimine des saisons entières en un week-end, fantasmant sur l’épée de John Sow dans Game of Throne et la flèche d’Oliver dans Arrow, j’admirais l’exotisme des grounders dans THE 100, et le génie de Profesor dans la casa de Papel.
Alors un jour, défilant sur twitter, je suis tombé sur une vidéo, dans laquelle on décapitait une personne encagoulée en direct, avec une scène semblable à celui du Roi Stark coupant la tête d’un traitre. Cette exécution était comme un film pour moi car j’ai déjà l’habitude de suivre des films et que la mort par décapitation faisait partie de la routine.
Je me surprends d’être attiré, fasciné par cette scène, hélas, je commence à enchaîner les vidéos.
Elles faisaient toutes l’apologie du Jihad, avec des prédicateurs éloquents qui promettent la régénération d’un nouveau monde où il y a la séparation du « pur » et de « l’impur ». Je m’enivrais d’un discours convaincant, que je n’avais jamais entendu auparavant et qui a quelque chose de plausible, d’attrayant aussi.
Accroché à mon écran, devant des vidéos d’une qualité Hollywoodienne, une personne barbue avec un turban blanc du nom de Jihadi John m’a envoyé une invitation sur Facebook et j’ai accepté sans réfléchir.
Ce fut le début d’une longue histoire.
Il a commencé par me dire qu’il est un élu de Dieu, et qu’il est en train de se battre pour la victoire de Dieu sur terre.
Il a commencé par m’expliquer qu’on nous cache la vérité dans un monde corrompu, il a dénoncé l’incapacité de nos dirigeants à défendre nos intérêts, et l’état déplorable de la société. Il a même décrit mon-mal être, car je me sentais marginalisé, sans aucun lien avec l’environnement autour de moi, et il a même précisé que c’est parce que moi aussi je suis un élu ; c’est pourquoi je dois m’éloigner de mes parents, mes pairs, et d’abandonner l’école.
Ainsi mon nouvel ami m’a envoyé un ensemble de liens que je devais visionner pour vérifier ce qu’il a dit.
J’ai enchainé dans l’isolement de ma chambre, des vidéos qui m’ont paniqué, déprimé, exalté et galvanisé. Ce sont des vidéos qui ont touché mon affect et m’ont effectivement convaincu que je vivais dans un monde de mensonges.
Une autre catégorie de vidéos me montrait que nous vivions dans un piège, car il y a un complot des sociétés secrètes qui veulent tout contrôler et nous détourner de notre bien. Ils y dénoncent les illuminatis, les francs-maçons, et les pratiques sataniques qu’ils décrivent avec un ensemble de symboles du monde qui nous entoure.
Une troisième série de vidéos m’est parvenue avec des idées selon lesquelles l’ultime solution pour sauver l’humanité c’est de détruire le monde des mécréants, des kuffars. Elles commencent par mettre la beauté de la nature qu’ils encensent avec des effets éblouissants, des images enchanteresses qui renvoient à un Créateur qui a la magie du chiffre d’or. S’ajoutent à ces images captivantes, des témoignages émouvants de personnes converties à l’Islam et qui soutiennent que la constance gravitationnelle n’existe que dans ce royaume de Dieu et l’évocation des textes de Lamartine qui fait l’éloge de Mouhamed. Ces vidéos de professionnels, avec de la musique à la fois grandiloquente et guerrière, parfois douce et mêlée à un savant mélange de mystère et de séquences psychédéliques et effrayantes et entrecoupées de versets du Coran m’ont mis directement dans une bulle envoutante. J’étais hypnotisé.
Mes idées ont commencé à changer, mon rêve depuis ce jour était de devenir un soldat de Dieu, être du bon côté de l’histoire comme ils disent.
Jihadi John m’a aussi expliqué que le Jihad est une affaire de révolutionnaire pour un monde plus juste, il a même dit que la barbe du guide spirituel de leur groupe est la réincarnation de la barbe de Che Guevara.
On m’a demandé de ne plus aller à l’école et de ne plus écouter mes anciens interlocuteurs, mêmes mes parents car les élus doivent se préserver du déclin général et rester un «groupe purifié ». Ils m’ont demandé aussi de manger que du halal.
Les tensions avec mes parents étaient devenues de plus en plus tendues, ils s’inquiétaient pour moi, et ils m’ont à plusieurs reprises demandé de les suivre chez le psychologue, j’ai refusé. Je l’ai traité de kuffar. J’ai considéré l’hôpital aussi comme symbole d’apostasie.
Mes amis ont commencé à s’éloigner de moi, et d’autres me traitaient de fou quand j’essayais de les convaincre avec mes discours fougueux, et mes prêches que je ne maitrisais même pas.
Je ne me retrouvais plus dans mon milieu, je ne reconnaissais plus personne, je vivais au parallèle.
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Un jour, je rencontre ma mère à la porte de la maison, j’avais un petit sac dans lequel j’avais une gourde d’eau et deux foulards, sur moi un jellaba, direction le lieu de rencontre.
Où vas-tu me demanda Maman inquiète ? Sans même la regarder, je rétorquai : « à l’école ».
Le lieu de rencontre était au bord d’une plage, à ma grande surprise, je n’étais pas le seul, mon correspondant à Wakazulu, Abu Ben Saoud avait aussi convoqué d’autres jeunes de mon âge. Ils nous ont séparés de tous nos bracelets, parfums et crèmes de corps avant de nous embarquer dans une pirogue. Nous voguâmes toute la nuit en direction de l’inconnu avec des inconnus. D’aucuns allaient à la recherche de la sécurité, d’autres de la reconnaissance, et d’autres, de la foi.
Nous sommes arrivés au matin sur une île déserte, la première à chose à faire a été de nous mettre en rang derrière une personne pour faire des mouvements avec des Allahu Akbar et d’autres invocations que je venais d’entendre pour la première fois. Après je compris c’est ça la prière.
Après cela, un homme âgé près de la soixantaine vint à notre rencontre pour nous souhaiter la bienvenue et nous dire que nous avons bien fait de choisir d’être du bon côté de l’histoire et que nous sommes appelés à devenir des frères dans la famille des soldats de Dieu, porte-étendard de la vérité et qu’en plus de cela, nous devenons des héros décorés ici et au-delà. Allahu Akbar_Shukran
Sur ces mots, nous oubliâmes notre fatigue et nos angoisses, pour renouer avec notre fougue de jeunesse.
La première étape de l’initiation consistait à changer nos noms. Nous avons tous changé d’identité avec des noms précédés d’Abu qui veut dire père. C’était un signe de respectabilité et de considération et ils nous prouvaient que nous sommes importants. Ce changement de nom consacrait aussi une rupture avec nos passés, nos erreurs, nos regrets, et que nous commencions une nouvelle vie.
On nous a divisés en groupe, et nous devions répondre aux ordres d’Abu Ibn Walid AL Zawahiri. Il était un peu plus âgé que nous et se chargeait de nous enseigner le Coran et la doctrine du Jihad chez « les Aigles verts». Ce fervent croyant et extrémiste idolâtrait le fondateur du Wahhabisme Mouhammad Ibn Abd Al Wahhab et ne se lassait jamais de nous citer le livre Signe de piste ouJalons sur la route traduit de l’arabe (Ma'alim fi-l tariq) de Sayyid Qutb qui est une sorte de Bible du Jihad, et nous explique que notre mission est d’éliminer les Jahiliya de la terre pour fonder un califat régi par la Charia. Par Jahilya nous entendons que nous sommes les seuls vrais musulmans, et les autres musulmans qui ne nous rejoignent pas et les autres sociétés sont nos ennemis, et nous avons le devoir de mourir pour les exterminer pour purifier la terre.
Après ces longs prêches, nous devenions des messagers, des voix de l’islam pour fonder un califat sur le monde.
Nous étions aussi bien équipés, et informés, car quand on nous présentait pour des terroristes dans les médias, nous nous pensons en martyrs de Dieu, ce que les autres appellent la mort, pour nous c’est une victoire, nous avions notre vocabulaire à nous, pour nous.
Lorsque le gouvernement a mis en place un numéro vert pour bloquer les jeunes aux frontières, nous avons construit une filiale de faux papiers. Et lorsque les filles voulaient s’échapper on les mises enceintes.
Idéologiquement encastrés dans des moules de représentations du monde, on nous a renvoyé dans nos terres respectives pour y être ambassadeurs du Jihad, porte-parole des « Aigles verts » et heureux martyrs ; pour nous tous, la mort pour le Jihad c’est une apothéose, la réalisation complète de soi.
La veille de mon attentat, mon allié qui habite en Rakiria m’a dit qu’il planifiait d’attaquer un supermarché qui vend des produits haram, et je lui ai dit que son idée est géniale, et moi je lui disais que j’allais attaquer l’aéroport et il salua mon audace. Et on s’est dit à bientôt au Paradis Firdaws avec les belles femmes, tout joyeux.
J’ai fabriqué ma bombe artisanale, et je me suis rendu à l’aéroport, mais arrivée à l’aéroport il y avait beaucoup de monde et je voulais en tuer le maximum, j’ai lancé la bombe dans une foule et j’ai foncé avec une voiture dans une autre. Et je ne comptais même pas vivre pour vous raconter tout ça.
Je sais que je suis un coupable, mais je ne sais pas si je suis vraiment capable de faire ça, je ne suis pas sûr que ce soit moi. Je me rends compte que le groupe m’a mis dans un rituel de rupture, où je ne pense plus par moi-même, il m’a installé dans un fonctionnement psychique où mon bon sens est brouillé, j’étais encore dans le parallèle, dans la sublimation, dans la fascination, dans le déni. La publicité du marketing de la terreur m’a atteint.
Pourtant je ne connaissais rien de l’Islam, je m’appelle Alcatraze Sendi, et je suis devenu Abu Yahya Al Khayrawani. Me voilà dépersonnalisé et dépossédé de ma raison. Je sais que je suis coupable mais j’accuse
Cette société qui a troqué son humanité pour le virtuel,
Cette société qui considère celui a réussi, même par les rouages arrivistes et marginalise les autres,
Cette société qui me demande de paraître et d’être branché
Car tout a commencé avec un smartphone…
Je regrette de ne pas mourir car mon sort est entre les mains d’une justice, alors que je ne suis qu’un endoctriné comme tous ces autres radicaux de salon qui n’attendent qu’un mot d’ordre… »
En passant, le journaliste qui assimilait la visite de sa Majesté à une apologie de la dictature a été exécuté avant la fin du journal.
Alors je prends le risque de vous souhaiter une excellente suite des programmes sur la Radio Wakazulu Internationale.
Comprendra qui pourra.
PATHERSON
Silencesdesrimes
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