Lorsqu’on s’attèle à faire le bilan d’un pays sur une année, il est souvent très politique. Les adeptes du « zoôn politikôn aristotélicien » me diront que « c’est normal car tout est politique ». Toutefois, il y a une différence entre un fait intrinsèquement politique et un fait politisé. Une démarche constructiviste nous pousserait à considérer le politique comme une caractéristique potentielle de tout fait social.
Ici, je ne fais même pas de bilan mais j’aimerais attirer l’attention sur des faits qui interpellent autour de notre humanité, de notre rapport à notre identité collective et individuelle et de celui qu’on entretient avec l’autre. L’année qui tire vers sa fin me servira naturellement de fil conducteur avec ses événements et ses soubresauts.
2019 s’en va, comme ses homologues, avec son lot de joies et de tristesses, de succès et d’échecs, de promesses tenues et non-tenues, de projets réalisés et non-réalisés. Une année qui nous rappelle exactement ce qui est la vie. Des hauts et des bas, des sourires et des larmes. Cette existence malheureusement belle, joyeusement mélancolique. Pensées pieuses à tous ces êtres chers qui nous quittés. Que le Poète de l’Univers les accueille dans sa Versification Paradisiaque.
Le Sénégal a été un pays où les accidents de la circulation ont très souvent assuré la une de nos journaux. Comme notre rapport à ces catastrophes souffre de plus en plus d’un réductionnisme autour des bilans chiffrées, je vais m’exempter d’étaler des chiffres et d’en venir à une attitude choquante et inadmissible adoptée par des personnes visiblement raisonnables. En effet, les victimes de ces accidents de la route sont devenus des malchanceux, et le premier ange de la mort qui vient c’est le portable. Au lieu de les sauver, de les aider, les témoins sont pressés de filmer leur sang qui gicle, de balancer sur la toile les épisodes de leur agonie. Devant ces comportements, je me demande si notre humanisme n’aurait pas déménagé. Drôle alors quand on se dit croyant. N’est-ce pas criminel ? Des mesures face à ces réactions doivent être prises et parmi celles-ci, l’arrestation de ceux et celles dont le réflexe est de prendre leur appareil face aux victimes au lieu de sauver une vie
Le pays aussi, a vu inévitablement, la mort lui tenir tristement compagnie, dans son histoire. De grandes personnalités nous sont quittées. Ils sont entre autres, Jacques Diouf, Amath Dansoko, Tanor Dieng, Samba Diabaré Samb, Colette Senghor, autant de personnalité qui ont marqué l’histoire de notre pays sur plusieurs plans, et qu’on accompagne vers leur dernière demeure avec des "RIP" dans les réseaux sociaux. Va-t-on continuer à enseigner l’histoire des autre à nos enfants à laisser celle de ces derniers dans l’oubli, refaire les mêmes erreurs que nos prédécesseurs ? Allons-nous, au-delà des témoignages éphémères, laisser mourir définitivement des personnes qui ont donné leur vie à ce pays ? Je n’en serai pas surpris car très souvent, on est important ici que quand on meurt. En tout cas, l’histoire de notre pays continue à être écrite, nous devons aller à la rencontre de ceux et celle qui en ont fait de grands paragraphes. La nécessité est passée à l’urgence. La réforme de nos curricula d’enseignement est une demande incontournable pour panser notre conscience historique, redéfinir nos repères.
A côté de cela, cette année a vu la poursuite des combats pour la souveraineté de notre pays, de notre continent sur notre terre. Face à ces épisodes aussi, le Sénégal, malgré son attribut d’Etat de droit, voit son statut de pays où les droits humains sont respectés s’effriter car des marches sont interdites sans raisons valables et des hommes dignes se font emprisonner et torturer arbitrairement. Je salue leur combat et demande au peuple de ne pas les laisser tomber et de ne pas abandonner. Dans cet élan, il ne faudrait traiter personne de lâche. Il faut reconnaître que chacun peut se battre à sa manière, lorsque d’aucuns marchent, d’autres dénoncent, d’autres écrivent, d’autres caricaturent, et certains en silence, laissent leur cœur pleurer. Il ne faut pas traiter de lâche un sénégalais qui ne va pas à la marche, car pour certains, quand d’aucuns marchent à la place de l’obélisque, ils courent pour trouver de quoi nourrir la famille. Bien sûr, il y a des personnes qui se nourrissent de leur indifférence, cette dernière va les consumer. Le silence de certains est une forme de combat, mais l’attentisme d’aucuns est un suicide.
Il faudrait signaler aussi qu’il y a une forme de combat qui avilit les troupes et les disloque. C’est celui qui n’a pour arme que des invectives, particulièrement dans les réseaux sociaux. Beaucoup de personnes sont aux aguets,derrière leur clavier, cherchant des boucs émissaires qu’ils traitent de marionnettes de la France et de tous les noms, sans jamais leur opposer des arguments scientifiques fondés sur des analyses objectives et des connaissances vérifiées. Beaucoup d’esprits éclairés en souffrent aujourd’hui dans notre transition du FCFA, vers l’ECO.
Le combat de la souveraineté doit être posé sur les bases de stratégies solides en lieu et place de la réaction émotionnelle.
2019 aussi m’a particulièrement fait peur en réalisant que les sénégalais peuvent être fanatiques, perdre la raison dès que le débat se fait autour des confréries. Nul doute, nos interactions doivent se faire dans le respect et l’acceptation de l’autre, mais il faut aussi qu’on apprenne à se dire des vérités, et que les uns et les autres puissent les considérer comme telles, et non comme des attaques visées envers une communauté, une religion, une confrérie. Ce serait naïf pour nous d’attendre de perdre une chose précieuse pour apprécier sa valeur. Promenons-nous souvent au Mali, en Centrafrique et autres pays de la sous-région pour toucher du doigt, ce à quoi ressemblent une rivalité communautaire, une guerre religieuse. Dans ces situations macabres, tout le monde perd, et le marabout pour lequel on a poignardé son frère ne garantit pas le paradis. Rappelons-nous que la stabilité sociale est notre plus grande ressource naturelle, ce n’est ni le pétrole, ni le gaz, encore moins le fer. Que les chefs religieux aussi, ne cessent jamais de parler pour rappeler à l’ordre, à la compréhension et que l’Etat ne se fasse jamais spectateur. L’Etat, doit être fort.
Vous l’aurez compris, ce n’est pas un bilan, mais une introspection sélective, un discours sur des faits, une interpellation qui aimerait que nous réagissions face à tout ce qui nous arrive, humainement.
Continuons de nous battre avec le savoir et l’amour, croyons avec respect et acceptation de l’autre, refusons dans l’honneur, vivons dans la dignité, préservons notre Téranga, que la pirogue continue de voguer en paix.
Bonne fête de fin d’année.
Silence des Rimes vous souhaite Bonne et Heureuse année 2020.
Patherson
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