Il est très noble et d’une valeur vitale pour nos cultures de restaurer les langues locales, de tenter et de proposer des canaux par lesquels on en fait des véhicules de transmission des savoirs.
Toutefois, par rapport au wolof et plusieurs langues africaines, le problème reste entier car j’ai bien l’impression que nous n’avons pas posé les questions de fond. Du moins, pas suffisamment, avec la rigueur qu’il faut, puisqu’il s’agit bien d’un gigantesque sentier civilisationnel.
S’il y a un pan de "décolonialité" à reconnaître dans ce combat, n’est-il pas incohérent d’utiliser les caractères des langues latines inspirés de l'alphabet phénicien pour écrire le wolof? Cette langue n’étant pas une langue latine à ce que je sache.
Est-ce que toutes les langues sont destinées à être écrites? Mieux, est-ce que toutes les sociétés, en pensant à leurs formules de communication, ont prévu, à côté de parler, d’écrire forcément ?
Pour cette dernière question, sachant que nous avons des sociétés de fortes traditions orales, il est possible de dire que nous parlons des langues mais nous n’avons pas forcément prévu de les écrire. Peut-être. Et si cette écriture est prévue, ce n’est certainement pas avec a, b, c, d, etc. Pourquoi n'avons-nous pas des caractères comme les chinois ont fait avec leur langue?
Il y a aussi une problématique de temps qui se pose. Les pays qui ont su imposer leurs langues, parler, calculer, voler et naviguer avec s’y sont pris bien avant que la mondialisation ait cette ampleur, bien avant que la connectivité et l’interconnexion soit au niveau que nous connaissons aujourd’hui.
On me dira certainement que nous devons faire le sacrifice de prendre du temps pour tout traduire dans nos langues, faire des fusées paramétrées dans nos langues, mais pendant ce temps, le monde avance vers d’autres paliers technologiques, produit de nouveaux savoirs, trace de nouvelles perspectives, ouvre de nouveaux horizons.
C’est un vœu pieux de souhaiter que nos sociétés avancent à leur rythme, mais est-ce que le monde d’aujourd’hui nous laisse assez de marge? Ce monde dont le logiciel est de plus en plus anglophone. Pour faire partie du jeu, il faut parler anglais. Même les francophones l’ont compris. Aujourd’hui, presque dans tous les domaines, la documentation la plus récente et la plus intéressante est en anglais. Pour une langue avec laquelle on ne peut pas faire un cours de physique spatiale, vous pensez vraiment qu’on va rattraper ce gap qui est déjà énorme ?
Nous ne devons plus nourrir le complexe d’habiter le monde avec d’autres langues, les habiter tout en gardant les nôtres, sans être dans l’exclusion, ou dans un puritanisme linguistique radical. Ce qui est intéressant, c’est qu’on peut habiter des langues étrangères avec nos propres paradigmes, y transposer nos visions du monde.
Le français d’aujourd’hui est une langue multiple et recréée avec moult recettes pour donner des saveurs différentes. C’est celui d’Abidjan, de Kinshasa, de Dakar, remodelé, malaxé avec des mots des langues locales, des vibrations locales pour devenir une langue qui a tout de celles qui sont entièrement propres à nos différents pays.
Récemment je faisais une émission sur la bonne gouvernance et je revenais sur certaines lois votées au Sénégal dans ce sens. Le journaliste m’interpella sur la nécessité d’écrire ces lois en wolof pour les rendre plus accessibles. Mais, même si on le fait, le problème reste entier car en toute logique, ceux qui ne peuvent pas lire le français, ne pourront pas lire un texte en wolof écrit avec les mêmes caractères. Donc la seule cartouche qui nous reste c’est de ne pas “écrire” mais “dire” ces textes en wolofs.
J’en veux pour preuve, les panneaux publicitaires qui décorent la capitale avec des slogans en wolof.
Certains n’hésiteront pas à voir en ces questionnements le discours d’un vendu, d’un pion de je ne sais qui, mais avant de vous y lancer, prenez le temps de réagir à tout cela avec du wolof pur de chez pur, avec l’alphabet et des caractères wolofs si on en a. Tant que vous y êtes, dites-moi aussi comment on dit Metaverse en wolof. Une langue doit être vivante.
Mon objectif n’est pas de critiquer cette belle langue que j’aime avec ses rythmes, ses sagesses, sa profondeur, sa richesse sémantique mais j’invite à faire face aux difficultés d’un projet dont la complexité est plus profonde qu’on ne le pense.
Et critiquer ne signifie être contre, c’est parfois inviter tout simplement à prendre en compte certains points importants de ce projet commun et de mieux ajuster nos approches pour faire monde, habiter le monde.
".....ceux qui ne peuvent pas lire le français, ne pourront pas lire un texte en wolof écrit avec les mêmes caractères. Donc la seule cartouche qui nous reste c’est de ne pas “écrire” mais “dire” ces textes en wolofs." Je pense le contraire. Ça peut se bien faire vu qu'il existe un alphabet Wolof dont les lettres sont au nombre de 30. De nos jours à travers la plateforme "WAX, Wax Ak Xamle", les gens commencent à écrire un bon Wolof et parviennent à découvrir beaucoup de "Baataan" (vocabulaire). On peut apprendre à toute personne désirant d'apprendre sa langue locale à l'écrire correctement et la lire aussi. Le seul hic que je me pose l'alphabet wolof est un peu similair…