A chaque fois qu’on pense arriver à un heureux épilogue, le boucan qui se joue au Mali depuis 2012 se complexifie en scénarios plus chaotiques. Entre les couplets des insurrections djihadistes et indépendantistes et les refrains des putschs, la danse de l’État malien n’est qu’un ensemble de mouvements qui prouvent sa sénilité institutionnelle.
Un premier coup d’État extorqua le pouvoir des mains du président Ibrahim Boubacar Keïta en août 2020, un Comité national pour le salut du peuple fut mis en place et l'ex-ministre Bah N'Daw occupa les fonctions de président de la Transition de la République du Mali.
9 mois après, en mai 2021, un nouveau coup de force poussa ce dernier à démissionner. Depuis lors, le colonel Assimi Goïta est aux commandes d’un pays dans une situation sécuritaire délétère. La junte militaire avait promis de faire une transition de 18 mois afin d’organiser des élections et de rendre le pouvoir aux civils.
Suite à la volonté de la junte de continuer à diriger le pays jusqu'à cinq années supplémentaires et de ne pas organiser les élections le 27 février 2022, les chefs d’Etats et de gouvernements de la CEDEAO ont siégé à huis clos le 9 janvier à Accra et ont pris des sanctions sévères pour mettre la pression sur le pouvoir militaire.
Des sanctions sévères ! Et le peuple ?
Fermeture des frontières terrestres et aériennes, gel des avoirs au sein de la Banque centrale des États d'Afrique de l'Ouest (BCEAO), suspension des transactions avec Bamako sauf les produits médicaux et de première nécessité constituent la sévère riposte des dirigeants de la Cedeao contre le Mali. Ils ont décidé aussi de rappeler leurs ambassadeurs.
Sévères ! C’est le moins qu’on puisse dire de ces sanctions contre un peuple affecté par 9 ans de guerre contre le terrorisme sur fond de tensions communautaires et un contexte sanitaire qui a déjà essoufflé les économies des pays.
Il fallait certes un moyen de pression mais cette Cedeao qui n’a pas encore relevé le pari d’être celui des peuples a montré encore une fois les bavures de sa politique du haut vers le bas dans la mesure où cette décision impacte d’abord les populations maliennes.
Si les dirigeants de ladite institution espéraient soulever le peuple contre le pouvoir militaire avec ces mesures, et par ricochet mettre la pression sur ces officiers aux commandes, il se trouve que le peuple a réagi autrement en répondant à l’appel à manifester du Colonel Goïta. Le peuple malien est sorti en masse aux couleurs nationales dans les rues de Bamako ce vendredi 14 janvier et ce signal fort démontre que la population qui ne soutient pas forcément la junte, n’est pas prête à céder à la pression internationale et n’accorde pas beaucoup de foi aux représentants de la Cedeao.
De plus, ces figures qui incarnent l’institution en ce moment sont pour certains, mal placées, pour des donner des leçons de démocratie et leurs réactions tardives ou leurs maladresses dans la gestion des autres crises politiques récentes comme en Guinée, ne jouent pas en leur faveur.
On ne peut pas jeter aux loups ces piégés dans la terreur
Dans le contexte politique et sécuritaire actuel, la transition au Mali ne réunit pas tous les éléments lui permettant d’organiser des élections mais au lieu d’augmenter du temps à la junte militaire, les assises nationales de la refondation pourraient être le lieu d’imposer plus de responsabilités pour les civils dans la transition et pourquoi pas, dans le moyen terme prévoir le retrait total des militaires de la transition. Quel que soit le temps de la transition, les militaires auraient un rôle d’observation et de consultation. C’est pour entretenir le caractère consensuel de la procédure mais les militaires n’ont pas prouvé leur aptitude à ressusciter la République malienne.
La principale raison qui explique qu’on ne peut pas organiser des élections comme il se doit est sécuritaire. Pour preuve, il y des cercles au nord Mali où on n’a pas pu tenir des assises à cause de l’insécurité.
Il ne s’agit pas d’être du côté de la junte ou de celui de la Cedeao, il s’agit de voir ce qui arrange le mieux le peuple. Donc même l’organisation de scrutin devrait se faire dans un climat où les populations se sentiraient impliquées et dans les conditions de pouvoir exprimer leur volonté.
Avec le retrait progressif de la force Barkhane et la reconfiguration de la présence européenne au Sahel, Wagner compte exploiter un vide pour se positionner. On pourrait d’ailleurs leur faciliter la tâche car beaucoup d’officiers maliens ont été formés dans les écoles d’officiers russes. Logiquement, en tant que société militaire russe et vu leur mode opératoire, leur présence perturberait plus qu’elle ne stabiliserait le pays.
Tous ces facteurs font que la Cedeao devrait se positionner en tant qu’accompagnateur en proposant à la transition un appui logistique et financier, des ressources humaines en termes de conseillers et d’experts pour redonner vie à la Républicaine et organiser des élections dans les conditions exigées par la démocratie.
Il faut aujourd’hui restaurer le cadre du dialogue pour une approche plus féconde qui mette au centre le peuple malien.
Le Mali : le territoire d’une guerre par procuration ?
Une forme de guerre froide par pays interposés se poursuit entre la France et les Etats-Unis d’un camp, la Chine et la Russie de l’autre. La France s’est beaucoup affirmée au Mali avec sa présence par le biais des opérations militaires Serval et Barkhane appuyés sur le plan logistique et dans le renseignement par les États-Unis. Le retrait progressif de Barkhane est comme une occasion rêvée par la Russie pour retrouver plus de place aux côtés de son ancien allié.
En effet, un bref retour dans l’histoire nous rappelle que le Mali s’était tourné vers le bloc de l’Est dès 1961 avec à sa tête Modibo Keïta qui défendait les idéaux aux accents marxistes de la lutte anticoloniale. Dans les années soixante, le Bloc de l’Est était un des principaux partenaires commerciaux du Mali représentant 42,8% des échanges. Sur le plan économique comme sur le plan militaire, tout vide laissé sera vite comblé par la Russie nostalgique de son influence d’antan et qui est droit dans ses bottes dans la politique d’étendre son influence dans le monde.
Dans ce sillage, ce mardi 11 janvier, le clan russo-chinois a bloqué le texte proposé par la France à l’Onu pour soutenir la décision de la Cedeao.
Le fait que ce pays et ses dirigeants soient au milieu d’un bras de fer, tirés de part et d'autre, n’est qu'un moyen d’augmenter la confusion et de brouiller les repères de ceux qui se cherchent dans ce cafouillage. Il faut le dire, certes avec prudence, mais derrière les discours de soutien au peuple malien et de défense de la démocratie, chacun tire le pays dans la direction qui arrange ses intérêts. Et on trouvera toujours, par la magie de la communication politique, de l’habiller avec les apparats passe partout des droits de l’Homme, de la démocratie etc.
Les Assises nationales de la refondation sont une occasion unique pour que le peuple malien fasse un seul bloc pour sortir de la crise ensemble. Les participants ont formulé des recommandations concrètes sur des urgences concernant l’éducation, la santé, la sécurité, la justice mais il n’y a pas encore un consensus clair sur la durée de la transition. Il est important de toujours poursuivre le dialogue en l’élargissant si nécessaire mais sans jamais accepter que le discours extérieur transforme les acteurs impliqués en des clans au milieu desquels aucune discussion féconde n’est possible.
Sortir du fétichisme de l’électoralo-centrisme
L’organisation d’élection n’est pas le seul baromètre d’une démocratie, elle ne règlera pas non plus les problèmes structurels d’un pays dérouté par neuf années d’instabilité.
Il est urgent de lutter contre le fléau de la corruption, rouvrir les écoles, améliorer l’accessibilité aux soins de santé sur tout le territoire, mettre en place un mécanisme de distribution inclusif et transparent des ressources, la formation d’une armée républicaine et le renforcement de ses capacités.
Les Assises nationales de la refondation devront revêtir à toutes les étapes, un caractère inclusif et que toutes les propositions des parties prenantes soient prises en compte.
Une transition réussie ne saurait guère être une seule affaire d’élection, il y a des facteurs vitaux à la vie de la Nation à considérer en urgence pour mieux accompagner le peuple malien.
Comments