Note de lecture
Auteur : Elaz Ndongo Thioye
Titre : Douces cacophonies
Genre : poésie
Editions : Le Lys Bleu
J’ai eu une journée très chargée. Je prévoyais de lire ce recueil intitulé Douces cacophonies de Elaz Ndongo Thioye un de ces jours, sans savoir lequel. Mais il m’a suffi de lire le premier poème « Parlons poésie » pour que la porte se ferme et se barricade derrière moi. Je ne pouvais plus sortir, refermer ce désormais bijou littéraire. Je l’ai bu d’une traite. J’ai fait les 98 pages sans respirer. Entre apnée et apesanteur, le voyage était mirifique. Souffle !
D’abord, Elaz sait, avec beaucoup de classe, ramener les poètes à l’ordre sur facebook. Il tourne en dérision avec une belle humeur et dextérité cette poésie décousue de personnes qui prennent cet exercice pour de la poudre de perlimpinpin. Ces personnes qui pensent que la poésie n’est qu’un bon sens de la « rimaillerie » tombé d’un amoureux en extase un soir de saint valentin.
Paul Valéry dans ses Variétés définissait la poésie comme « l’ambition d’un discours qui soit chargé de plus de sens et mêlé de plus de musique que le langage ordinaire n’en porte et n’en peut porter. » C’est cette création d’un langage dans le langage qui confère à la poésie son statut d’ART. Il n’y a peinture que si les couleurs sont transformées en image.
Le poète dans ce recueil emploie nos mots de tous les jours, les déshabille et les rhabille, et ce qui était de la routine devient subitement ce qu’on découvre dans une glyptothèque, magistralement exposé, avec une somptueuse créativité. La visite peut commencer !
Comme un orpailleur j’ai découvert quelque chose de très surprenant. Il y a une belle communication spirituelle entre l’auteur de Mélopées Divines et celui de Douces cacophonies.
Ce que Fara Ndiaye décrit à sa page 49, Ndongo le transmet à sa page 53. Ce que Ndongo mijote à sa page 53, Fara le sert à sa page 49. Je me félicite pour cette vigilance. Sourire.
Dans le poème éponyme « Mélopées divines » (p.49), Fara montre comment, de par l’exaltation du Divin, il commence son anagogie après avoir goûté au vin spirituel.
Quant à Elaz, dans le titre « Aux âmes saintes » (p.53), accroupi au pied du Seigneur, il entame une quête de pureté. On retrouve chez tous les deux poètes, deux mots qui frappent : « vin » et « divin ».
Lorsque Ndongo écrit dans « Le théâtre divin » :
« L’Âme représenta le divin et prononça la sentence sacrée
Les Anges obéirent dans l’ignorance des grands secrets
Satan refusa l’ordre divin et sera à jamais maudit
L’Homme tant vénéré pécha et sortit du paradis »
Fara entonne dans « Le mythe adamique » :
« Un bon jour l’ennemi vous poussa à désobéir le grand Roi
Du ciel vers la terre vous fîtes une chute, une autre Loi
Le Roi vous pardonna mais rien ne fit hélas comme avant
Tu connus le feu, ta femme les douleurs de l’enfantement »
Les poètes se sont croisés quelque part et sont allés boire ce même vin à la même fontaine.
La cacophonie est une dissonance phonique. Un bastringue, j’ai envie de dire. Imagineriez-vous un agréable charivari ?
Difficilement ! Mais le poète ingénieusement y arrive. Douces cacophonies est l’oxymore qui panse les plaies d’une vie, édulcore ses vicissitudes. Le poète ici, est un médecin aimable. Lorsqu’il met en scène la souffrance, il la maquille afin que sa laideur ne répugne point et qu’enfin on accepte qu’elle ait sa place sur la scène de ce voyage terrestre.
Dans « Chanson d’un cœur meurtri » comme dans « Souffrances muettes » le poète ramasse de folles flammes pour peindre les larmes de la Casamance, ou nous montre le regard de ceux qui se battent contre les tenailles des quotidiens difficiles.
Le poète est aussi à l’écoute de son temps et n’oublie pas ceux qu’on oublie souvent, notamment les prisonniers. Il démontre à travers « Amour virtuel » la manière dont nous sommes devenus prisonniers de nos écrans.
En parlant d’amour, Elaz en est un chantre. Il le chante et le déclame sous toutes ses formes. De « L’amour idéal à « La beauté céleste » en passant par « De l’amour avant toute chose » les cymbales bien accordées d’un cœur généreux amortissent doucereusement les fracas qui s’abattent sur ce monde qui étouffe.
« Je suis aveugle même si je me vois dans le miroir
De ton cœur illuminé par mon amour sans honte
Cet amour sera gravé dans les plus belles pages de l’histoire
Et les jaloux-ennemis diront un jour que c’était un conté »
Le « Soleil de minuit » n’est-il pas au zénith ? Dis-moi poétiquement oui.
Douces cacophonies, c’est une vie en vers dans ce qu’elle a de beau et de vilain, de noble et d’abject. Le poète ne s’exempte pas de s’interroger sur le temps si abstrait, la mort si mystérieuse, la Femme bellement Majuscule.
Arthur Rimbaud, à travers ses Illuminations, s’est montré comme un poète de la suggestion qui demande au lecteur de ne pas comprendre mais d’imaginer et de sentir. Par un hermétisme démocratisé grâce à la simplicité su style, Elaz s’est fait voyant par une douce, immense et longue errance dans le charme du Sacré. Le vers fait place à la mélodie du zikr, ivre, le poète nous fait visiter un musée céleste. La destination ontologique des vers est le sanctuaire de la Sainteté. Le poète les soigne pour rendre présentable cette forme de repentance après confessions.
J’espère qu’il reste encore des brouillons de vers pour accompagner la danse des étoiles que comtemplent les insomniaques et pour faire le refrain des zikrs de l’aube.
J’espère qu’il reste encore quelques de ces notes qui ont fait danser la Linguère pour atténuer la douleur aiguë de nos souffrances muettes.
De la poésie, un verre levé à la vie !
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