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Ces dettes que nous devons à nous-mêmes

Ces dettes que nous devons à nous-mêmes

La pandémie du covid-19 a agrandi tous les traits de l’essoufflement de nos systèmes de gouvernance et mis devant le fait accompli ceux qui avaient jusque-là pris l’option de se vautrer dans le déni. Sur le plan technique, on a assez parlé de nos insuffisances, mais sur le plan identitaire, encore une fois, nous ne croyons pas en nous car nous préférons écouter des médecins d’autres pays que donner carte blanche à ces experts de chez nous qui livrent une bataille remarquable à cette maladie et qui n’ont plus rien à prouver dans leur domaine de compétence.

Même si cette crise s’est mondialisée, les réponses ne peuvent pas être les mêmes vu que les contextes, les moyens et les réalités sociodémographiques diffèrent d’un pays à un autre. Pendant 60 ans les États africains ont copié. Lorsque l’occasion leur est donné dans cette crise de montrer une autre facette de nous, de prouver notre capacité à réfléchir, faire des choix et les assumer, plusieurs pays africains sont restés aux aguets, attendant de voir ce qui se fait ailleurs pour imiter sans recul ou avoir une validation de la part des autres.

Même dans la manière de gérer cette crise sanitaire, nous continuons de tout importer des pays de l’Occident. Après les États et les idéologies, on partage leur peur, leurs erreurs, leurs réactions alors que nos pays ne présentent pas les mêmes schémas de propagation du virus. Hélas, qu’est-ce qu’on voit ? Des mesures prises, au départ saluées, mais après une semaine, on voit qu’elles n’ont pas été accompagnées. Mieux, elles sont copiées et collées sans effort d’adaptation.

La crise de l’autorité : entre défiance et usure

Cette gouvernance du mimétisme et de la réaction est en train de vivre les épisodes de son essoufflement. On continue de voir nos dirigeants prendre les mêmes mesures que celles édictées en France sans encore une fois prendre en compte les réalités sociodémographiques et structurelles de nos pays.

Au moment où des États comme Taiwan et Singapore[1] sont en train de tirer leur épingle du jeu dans la bataille contre Covid-19 en mettant leur plan d’action sur la base de la confiance des populations envers les autorités. C’est tout à fait le contraire dans beaucoup d’autres États du monde où la population nourrit davantage une certaine défiance vis-à-vis des institutions publiques et des informations reçues. L’Afrique ne fait pas exception à cette usure de l’autorité.

Sans verser dans l’élan des comparaisons, il y a des leçons à tirer de partout pour rectifier nos angles de tir. Il y a des idées reçues qui font penser que ces pays ont pu avoir de bonnes performances dans la lutte contre cette pandémie car ils ont des régimes autoritaires, mais les autorités ont plutôt mené la guerre en dirigeant par l’exemple et en impliquant les populations. Ils ont surtout appris des leçons du passé en misant sur l’art de l’anticipation. Vernon Lee, directeur de la division des maladies transmissibles au ministère de la santé de Singapour, l’a bien démontré en affirmant que son objectif était de prendre de l'avance sur la pandémie plutôt que de la poursuivre et d’accuser du retard.

Il est clair que nous n’avons pas les moyens dont ces pays disposent au niveau technologique en mettant en place des applications d’auto-contrôle et de suivi des quarantaines, mais la leçon qu’ils lancent à tous les pays est de prendre des décisions forgées sur leurs forces (la technologie), leur passé (catastrophes naturelles, épidémies) et l’implication de leur population.

La Singapour est l’un des très rares pays à ne pas avoir fait du Covid-19 un virus chinois car juste une semaine après la fermeture de Wuhan, le gouvernement a fermé les frontières du pays et mis en place un groupe de travail pour dégager une stratégie de lutte.

Toutefois dans plusieurs pays africains, les tons de discours et les temps de réactivité des dirigeants nous poussent à vouloir les inscrire à l’école de la gestion des crises.

Même si Kagamé et Rajoelina ont donné le bon exemple en s’adressant tôt à leur peuple, on a un Condé plus occupé par son référendum présidentiel et Buhari qui s’est confiné dans l’ombre pendant plus d’un mois avant de parler aux nigérians.

Quand bien même Nana Akufo-Ado aurait-il lancé un appel à l’union de son peuple pour se battre avec eux, les dirigeants tchadien, gabonais et togolais gardent encore le ton de ces pères de la Nation. Sa Majesté l’empereur qui sauvera et libèrera son peuple.

A part des exemples comme la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Kenya, le Sénégal qui se sont donnés les moyens de traduire les messages de sensibilisation dans les différentes langues locales, dans plusieurs autres pays, les discours sont techniques, délivrés avec des accents d’un français fanfaron qui se veut managérial, avec des paltoquets voulant paraître bien aux commandes mais trahis par les gestes.

Les actions qui s’ensuivirent sont à l’image des discours qui n’ont fait que révéler l’incapacité de beaucoup de nos chefs d’États et de gouvernements à toucher leurs populations. Des mesures sont prises sans accompagnement poussant des jeunes à défier l’autorité ou engendrant des violences policières durant le couvre-feu.

L’exemple pertinent est le cas du Sénégal. Si nous analysons les mesures prises au Sénégal, on se rend compte qu’à chaque fois on a fermé des portes aux populations on les a poussées à se ruer vers d’autres créant parfois des situations pires que celles qu’on voulait éviter.

Lorsque le couvre-feu a été décrété, des personnes ont été battues car elles sont descendues à 18 heures et n’avaient plus de moyens de locomotion pour rentrer. Obligées ont-elles été de marcher pour rallier chez elles. Pour certains, c’était naturellement plus de deux heures de marche, le moment fatidique les trouvant dehors.

En interdisant l’achat du pain dans les boutiques, on a créé des foules dans les boulangeries. La distance sociale ne faisait même plus la taille d’une miche de pain.

L’espoir était jusque-là permis pour que l’Afrique sorte de cette pandémie en faisant pour une fois l’exception positivement, mais à cause de ces légèretés et du manque de courage des décideurs qui peinent à assumer leur identité, on peut s’attendre au pire.

Au pire, parce qu’il n’y aura plus personne pour décider car les populations peinent de plus en plus à avoir confiance en ces leaders politiques. La confiance se construit désormais par le bas. Cette situation a été davantage aggravée au Sénégal avec la distribution des denrées alimentaires. Depuis le lancement de cette initiative, on a vu à la une de nos journaux des scandales liés au manque de transparence de cette opération et qui ont impliqué le ministre du développement communautaire, de l’équité sociale et territoriale, monsieur Mansour FAYE, le beau-frère du Président de la République.

Bavure journalistique ou manipulation politique, en tout cas, les populations comptent plus sur les bonnes volontés que sur l’État.

Au pire, car la parole des chefs religieux, des influenceurs, des acteurs de l’humanitaire est plus crédible que celle venant de l’autorité publique.

Au pire, car cette incapacité de l’État peut mener à l’anarchie et à la recrudescence des violences lorsque ces anonymes seront face au mur, contraints d’exprimer leur instinct de survie.

La confiance se construit par le bas. Elle pouvait venir du haut si nos gouvernants avaient appris à gérer du bas vers le haut. Elle se construit actuellement dans les réseaux sociaux et dans la rue, favorisant la manipulation des émotions collectives.
Un proverbe malien dit : « Il faut un bâton pour diriger un troupeau de mille têtes, mais il faut mille bâtons pour diriger mille personnes ». Par conséquent, un peu plus d’empathie, et d’inclusion permettraient de prendre des décisions originales, adaptées à nos réalités.

Nos fantasmes optimistes ne doivent pas nier l’histoire du présent

Les conjectures sont souvent positives nous peignant un après-covid-19 où il y aurait un monde nouveau. Un monde où les modèles sociaux et économiques mettraient l’homme au centre et avec des gouvernances plus inclusives.

Mais ce virus nous a trouvé dans un monde, et son passage, même s’il nous aide à nous réinterroger, ne nous permet pas de régler ces problèmes qui étaient là.

L’après Covid-19 ne sera pas une terre promise car je ne crois pas que sa fin donnera l’accès à l’eau à un milliard et demi de personnes vivant sous le stress hydrique.

L’après Covid-19 ne sera pas le temps de l’eldorado si environ 16 millions de personnes[2] demeurent des réfugiés climatiques.

L’après Covid-19, j’aurais bien aimé, mais ce ne sera pas une Afrique nouvelle qui dictera ses propres volontés et qui choisira sa voie si on continue d’avoir des roitelets plus occupés à jouer avec les constitutions que de sauver leur peuple.

Non, vaincre Covid-19 ne signifie pas la faim de cette image macabre qui montre qu’un enfant sur treize meurent en Afrique subsaharienne avant l’âge de cinq. Alors que ce taux est d’un sur 196 en Europe.

Que cet invisible disparaisse n’est pas synonyme de la fin du calvaire de 11 millions de personnes qui ont besoin d'assistance alimentaire dans la région du lac Tchad[3].

Ce temps d’après, de nos fantasmes optimistes de bonne foi ne verra pas le jour si à la fin de cette guerre, des peuples continuent de vivre sous la peur quotidienne car ils peuvent d’un moment à l’autre être victimes d’attentats terroristes.

J’aurais bien aimé avoir le luxe de rêver de ce monde idéal où nous parachuterait l’après coronavirus, mais nier la réalité d’en face serait davantage insultant.

Toutefois, nous avons une carte entre nos mains. Il nous faut définitivement tirer une leçon de l’état actuel du monde, et être résolus à fonder une coopération africaine pour avancer ensemble pour nos défis communs et ne plus déléguer la gestion de notre économie, de notre sécurité, de notre alimentation, de nos identités.

Malheureusement, cette tâche libératrice ne sera pas exécutée par nos dirigeants actuels.

Les remèdes entre nos mains, endettés envers nous-mêmes !

Nous n’avons pas besoin d’une déclaration médiatisée de la part des représentants de l’OMS pour valider nos remèdes, pendant que la priorité est de sauver des vies.

Les africains doivent avoir confiance en eux et aux chercheurs de nos pays, on sait au moins qu’ils ne nous empoisonneront pas. Je miserai sur les recommandations du Professeur Seydi que sur le plus grand médecin du pays le plus développé. Des talents locaux sont en train de faire leurs preuves et de montrer leur volonté de livrer une bataille remarquable à cette pandémie sur nos terres, il faut les encourager. C’est illogique de désarmer ses soldats et attendre que des soldats d’autres pays viennent nous aider.

De la chloroquine à l’artemisia, tant que les résultats sont visibles, allons-y sans modération et laissons l’OMS face au temps. L’histoire jugera. C’est à nos dirigeants surtout d’aider dans ce sens en faisant preuve de courage pour couvrir les chercheurs. Je salue d’ailleurs le leadership d’Andry Rajoelina, président du Madagascar qui a envoyé balader l’OMS et a encouragé le remède trouvé dans son pays baptisé Covid-organics. Nous faisons face depuis fort longtemps à ces problèmes concernant la validation de la découverte de nos chercheurs pour éradiquer des maladies comme le paludisme. Alors, il faut que cette farce sur des vies humaines cesse. Les pays développés ne meurent pas du paludisme et nous donnent leurs médicaments, car ils sont soi-disant validés par cette entreprise d’assassinat masqué. Paradoxalement, les voix des chercheurs qui vivent en Afrique au contact de la maladie ne sont pas entendues, et les rares d’ailleurs qui parviennent à faire écho de leur découverte sont parfois menacés de mort. Sans cette confiance en nous et en nos chercheurs, consolidés dans la démarche par les dirigeants et les institutions régionales, nous continuerons après le covid-19 à compter nos milliers de morts du paludisme, de femmes qui perdent la vie en la donnant et nous serons confinés dans des pays qui ne peuvent pas se payer une machine de chimiothérapie.

Selon la Banque Mondiale, environ 830 femmes meurent[4] chaque jour à cause de complications liées à la grossesse ou à l’accouchement. Plus de 80% des décès maternels dans le monde se produisent en Afrique subsaharienne. Lorsque le monde compte environ 435.000 morts liés au paludisme, les 93% viennent de l’Afrique[5].
La vérité c’est que le remède ne viendra jamais d’ailleurs. L’industrie pharmaceutique se fera le plaisir d’entretenir ce business sur nos souffrances aussi longtemps que nous dormirons.

Par rapport à la dette africaine, je ne crois pas que nous devons quelque chose à l’Occident et à la Chine. Et dans le secteur de l’économie, des chercheurs ont proposé aussi des moyens de l’effacer. La vraie dette c’est celle que l’Afrique aura envers son image, sa dignité si nos présidents comptent s’agenouiller pour qu’on l’enlève alors que ce n’est pas de l’aumône.

La vraie incohérence de la part de nos dirigeants c’est celle de demander l’effacement de la dette de l’Afrique et de faire en même temps appel au Fonds monétaire international et à la Banque mondiale pour une aide internationale afin de faire face à la crise. On mendie 114 milliards de dollars espérant que cette somme nous sera offerte gratuitement. Au lieu de saisir l’occasion d’assumer nos responsabilités et de mettre fin à cette politique de la main tendue, nous avons donné plutôt l’occasion à ces bourreaux de bien nous tenir au cou. Vouloir effacer une dette en s’endettant ! Belle ironie…

Mon article est allé dans tous les sens. Mais c’est l’image même du monde. Bonne guérison





[1] Wharton University of Pennsylvania, Combating COVID-19: Lessons from Singapore, South Korea and Taiwan, https://knowledge.wharton.upenn.edu/article/singapore-south_korea-taiwan-used-technology-combat-covid-19/ [2] La Croix, Milénée le Priol, Qui sont vraiment les « réfugiés climatiques ?, https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Sciences-et-ethique/sont-vraiment-refugies-climatiques-2019-12-09-1201065344 [3] Institut d’Études de Sécurité, Perspectives pour les pays du G5 Sahel à l’horizon 2040, Novembre 2019, pp.9 [4] Organisation mondiale de la Santé, Mortalité maternelle, https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/maternal-mortality [5] Romain Gras, Jeune Afrique, Paludisme en Afrique : les chiffres clés du rapport de l’OMS, https://www.jeuneafrique.com/668205/societe/paludisme-en-afrique-les-chiffres-cles-du-rapport-de-loms/

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