En quête du vers parfait pour le Prytanée (suite et fin de la série Flambeau d'un siècle. #CentenairePMS)
Pourquoi écrire ? Voilà une question existentielle pour un écrivain. Il faut je pense toute une œuvre pour y répondre, pour trouver une partie de la réponse, ou peut-être l’achever sans vraiment y arriver.
Quand le journaliste me posait la question, rattrapé par une certaine fulgurance, j’aurais dit: « j’écris pour sauver le monde, je me sens investi d’un message prophétique ». En roulant les “r”. Mais quelle audace.
C’était juste pour mettre quelque chose sur le plateau. Comédie de l’instant.
Mais avec le temps, j’ai eu de fragiles certitudes sur une chose. Des révélations peut-être.
J’écris pour garder le contact avec moi-même. L’écriture est un espace où je vais à ma rencontre, car au contact du papier je me sens entier, moi, vrai. Ôté du monde presque pour habiter une forme de plénitude. C’est la première motivation.
La seconde c’est de nourrir le plaisir de partager. Je suis heureux quand même de dénuder mon écriture de toute attente, de toute poursuite mondaine, pour en faire un don. Tout simplement. Partager. Le bonheur est énorme quand je remarque que j’ai fait des heureux à travers un texte écrit ou déclamé sur scène.
Garder le contact et faire des heureux. Écrire pour rappeler le slogan: vivre et briller.
Toutefois j’ai des ambitions dans l’écriture. Parmi celles-ci, écrire un bon poème sur le Prytanée. Et en passant, je n’ai jamais su écrire un vers satisfaisant sur ma mère. Trouver le “poème bon" pour cet être est un grand rêve encore.
Sur ces sujets, j’ai toujours cherché le mot, et quand il arrive, il est faible, mal placé. J’ai toujours cherché la rime parfaite, celle que j’idéalise dans mon imaginaire et que la langue ne m’offre pas.
Je n’ai pas envie que mon poème sur cette école pue la nostalgie ou qu’elle coince dans l’extase de l’exagération.
Même si… Bref. Point à la ligne.
Si le Prytanée est un film, il a ses personnages. Emblématiques.
Nous avions nos professeurs à nous.
Certains sont tellement dévoués à l’école que cette dernière ne peut dissocier sa vie à la leur. Lieutenant du savoir et amoureux de la transmission, ils savent se surpasser en classe et être présents partout où l’école a besoin d’eux. Pour certains, ils deviennent la figure paternelle par substitution.
Je pense à M. Charles Camara, que la terre lui soit légère. Il aurait encore offert son grand sourire et sa simplicité complexe à ce centenaire. Il était le professeur pour ses élèves et pour ceux qui ne faisaient pas son cours de latin. Même dans la cour, il donnait, il partageait.
Il y a aussi l’infatigable Monsieur Lô, professeur de Mathématiques. Élégant, fin dans le style, le français soigné. Ne faites pas les surpris, il a les mathématiques comme matière et entre deux formules, il rappelait une règle de grammaire. C’est avec lui que j’ai entendu pour la première fois, en classe de troisième que la conjonction de coordination « or » n’est jamais suivie de « que ». Au lieu de dire « or que », mettre « alors que ».
Mme Fall, reine de l’histoire et de la géographie. Elle ne m’a été mon professeur, mais j’ai connu sa rigueur, sa capacité à rassembler, à être mère et surtout à démontrer sa passion pour sa matière. Monsieur Mbacké est son homologue dans la matière, rigoureux, il ne mâchait pas ses vérités. Pour l’Afrique, il était l’inconditionnel. Il pouvait utiliser la moitié de son temps de cours pour parler de l’Egypte ancienne.
Dans cette école, sont passés et passent encore des enseignants qui portent leur métier en sacerdoce.
Comme l’œuvre humaine n’est pas parfaite, nous avions eu dans nos classes des phénomènes. Tellement uniques qu’ils furent adoubés des surnoms les plus rocambolesques. Je préfère vous épargner ces scènes. Il y a des choses qui restent en classe. Élève du jour! Rends l’appel…
A côté du corps professoral à qui revient une grande partie du mérite de nos résultats scolaires, nous avons les chefs de classe. Noyau de l’encadrement militaire. Ce sont des sous-officiers de l’armée, envoyés au Prytanée et rattachés aux classes. Leur rôle est de nous encadrer. Explication pragmatique et militaire. Ils savaient nous envoyer en taule pour n’avoir pas ciré les chaussures ou pour n’avoir pas fait le lit au matin. Ils savaient mettre les ingrédients pour nous terroriser et asseoir leur autorité.
On avait des prises de contact dignes des films hollywoodiens: “moi, je suis un commando, j’ai fait dix ans en Casamance. J’ai fait la guerre au Libéria. J’ai attrapé un rebelle vivant. Donc faîtes attention. Si vous gâchez mon travail, je vous mangerai crus. Minables”. La prise en main promettait une cohabitation riche en rebondissements.
Entre nos prises de tête, nos cache-cache, et parfois les accrochages, ces chefs de classe qui partageaient nos quotidiens étaient en réalité comme le grand-frère ou le père qui vous bouscule mais qui en réalité vous aime bien. On ne vous montre pas de l’affection, ni vous laisse le temps de chialer, on vous laisse rouler, avec la bienveillance qu’il faut. Au fond, tu passes comme le fils qu’ils ont à la maison. J’ai envie de leur dire merci d’avoir consacré toute une vie pour nous accompagner, des journées entières, du décrassage (sport matinal) à l’extinction des feux. Mais j’ai surtout envie de leur demander pardon pour toutes les bêtises, les folies et les maladresses d’adolescence. Oh que nous savions être insupportables.
Dans toutes les écoles, on trouve soit dans la cour, soit le long des murs de clôture, des vendeuses de friandises dont les enfants raffolent pendant la récréation. Nous, à bango, nous avions nos mères Thiafs, indissociables à la vie du camp en général, ces mamans étaient là lorsque d’actuels commandants d’écoles étaient des enfants de troupe. Elles ont vu les générations passer, se gaver de leurs beignets et de leurs arachides dont elles seules ont le secret de la préparation.
Je ne saurais dire si c’est la faim ou pas, mais ce genre de beignets n’existe qu’à bango. Série unique. Marque déposée. Vous voulez goûter, direction bango, colonnes par quatre, en avant marche. Un, deux, marchez au pas, nom de Dieu. C’est pas le bordel…
Il y en a qui donnaient tout leur pécule à Mère Thiaf, ils avaient de longue ligne dans le fameux cahier. Comprendra qui pourra.
Dans cette histoire, il y a des héros et des héroïnes de l’ombre. Personnel civil employé pour aider à la cuisine ou à la buanderie, ils étaient là, toujours, quelque part, comme s’ils avaient signé un pacte avec le dieu de l’école. Parmi eux, il ne faut pas oublier Jammeh, le coiffeur. A chacun son tour. Son bulldozer n’était pas là pour faire des beaux, mais pour se sauver d’une nuit avec les moustiques. C’était pratique. Sa tondeuse devrait bien avoir une place au musée de l’enfant de troupe.
Le Prytanée a ses personnages, exceptionnels, atypiques. Chacun faisant chemin avec l’insigne à sa manière. Il faut ajouter au scénario, les chats qui guettent le reste du bol, les bœufs qui beuglaient au milieu de la nuit ou qui se prenaient pour des commandants de brigade.
Vous aurez compris que ces articles sont issus d’un regard très personnel, cela confirme le fait qu’en chaque enfant de troupe et ancien enfant de troupe, il y a une histoire du Prytanée.
Du 7 au 11 février, les anciens viennent de partout, pour célébrer l’anniversaire de l’école. Certains ont réservé leur billet il y a six mois.
Nous ne célébrons pas un âge, ou juste le fait d’avoir existé pendant un siècle, nous venons réitérer un serment, renouer avec un lien sacré avec des frères et un mythe, faire le pèlerinage, le retour aux sources et prendre l’élan pour continuer à "savoir pour mieux servir".
Par rapport au lien, mon jeune Moumamed Soumaré a bien fait de poser la question: “Après la foi et la famille, existe-t-il un lien plus fort que celui qui rassemble les enfants de troupe ?”
Le Prytanée a cent ans, le flambeau crépite face au vent, en chaque étincelle, voyez la promesse d'étoiles qui complètent la constellation de l'espoir même quand le "ciel s'assombrit". Que le gong de la grosse caisse et l’éclat du macaron nous rappellent ce pour quoi nous jurâmes un vendredi soir de décembre: SERVIR.
Penser, vouloir, agir pour les autres, comme l’enseignait le cher parrain, parti sur le chemin de l’honneur. Charles N'tchoréré, c’était son nom. Voix du Benjamin pour ceci.
Joyeux centenaire à tous les enfants et anciens enfants de troupe, à l’encadrement civil et militaire, aux bangotins, à tous ceux qui de près ou de loin, ont ajouté du fil pour tisser la légende.
Garde-à-vous, présentez, armes!
Fermez le banc!
Disposition préparatoire pour le défilé, aux ordres des différents chefs de détachements.
Les rats de pots, soyez civilisés pour une fois…
Surtout pas de cuisses de poulets dans les poches.
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